UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les caves

Non seulement le sous-sol calcaire de Champagne est idéal pour la culture de la vigne, mais encore il concourt par sa nature à la production du champagne en assurant, dans les caves qui y sont creusées, la température modérée et constante qui est nécessaire pour la conservation des vins de première fermentation et pour une prise de mousse lente, facteur indispensable de la qualité. Comme le disait le frère Pierre au début du XVIIIe siècle : Nulle part au monde il n’y a d’aussi bonnes caves qu’en Champagne, aussi ne trouve-t-on que difficilement ailleurs le vin aussi bon que dans cette même Province [1], affirmation que Sir Edward Barry appuyait cinquante ans plus tard en lui donnant la caution de l’impartialité, en précisant que les caves dans lesquelles sont conservés les vins de Champagne sont les meilleures de France [2]
A partir d’un niveau de 7 mètres au-dessous du sol, la température est de 10 à 12°, été comme hiver, avec une hygrométrie de 90 à 100, sans condensation, le calcaire absorbant l’excès d’humidité. Celle-ci, dans beaucoup de caves, favorise le développement d’un champignon, le rhacodium cellare, ou poil de chat, qui s’accroche aux parois en une sorte de mousse noire ou pend de la voûte comme des stalactites. Les sporanges sont blancs mais deviennent noirs en vieillissant. Loin d’avoir un caractère malpropre ou malsain, cette moisissure, qui est de la famille de la pénicilline, avant l’invention de cette dernière était utilisée par les cavistes comme onguent pour soigner leurs blessures.
Dans la craie, les galeries peuvent être percées sans étayage. Ailleurs, les parois de l’excavation doivent être généralement cimentées ou revêtues de briques et autres matériaux, ce qui entraîne parfois une condensation abondante. Encore assez nombreux sont les vignerons qui, pendant les journées de mauvais temps, étendent leurs galeries au pic et à la pelle. Mais les caves importantes se font à fouille ouverte, avec plusieurs niveaux constitués par des dalles de ciment. Lorsque le travail est terminé, on recouvre de craie puis de terre.
Il faut faire une place à part à des caves qui, elles, sont très anciennes, ce sont les crayères gallo-romaines de Reims, groupées dans le sous-sol de la butte Saint-Nicaise, au nombre d’environ 250. Anciennes carrières, d’où a été extraite la pierre qui a servi à la construction de Durocortorum, ce sont d’immenses pyramides creuses souterraines, d’une hauteur variant de 10 à 35 mètres. Elles ont été ouvertes avec un orifice supérieur de petites dimensions et creusées ensuite par élargissement progressif, probablement afin de diminuer les risques de gel et d’éviter que la pluie ne vienne détremper le fond de la carrière. Par la suite, elles ne furent plus exploitées que sporadiquement, mais elles servirent d’abri, puis d’attraction touristique. Voici ce qu’en disait Louis Paris en 1845 dans Remensiana : Ces crayères, lors de la persécution des Chrétiens, ont servi de refuges aux premiers fidèles qui y célébraient en secret les cérémonies de leur culte. C’est aussi là qu’au XVIe siècle les premiers protestants se retiraient à l’insu des catholiques et vaquaient aux exercices de leur nouvelle religion. Aujourd’hui, ces excavations extraordinaires sont encore une des curiosités du pays, que les étrangers bien guidés ne manquent pas d’aller visiter, et la craie que l’on en extrait encore sert aux constructions.
Sept maisons de champagne abritent leurs bouteilles dans des crayères, qu’elles ont aménagées et reliées par des galeries. Ce sont Ruinart, dont les crayères ont été déclarées site classé par arrêté du 11 septembre 1931, Charles Heidsieck, Taittinger, qui se sert aussi des belles caves gothiques de l’abbaye Saint-Nicaise, Veuve Clicquot, Pommery, Henriot et Abel Lepitre. Les crayères ont été utilisées comme caves à partir de 1860, sauf celles de la maison Ruinart qui l’ont été dès 1769, lors de son transfert d’Epernay à Reims.
L’histoire des caves champenoises serait incomplète si on ne mentionnait pas la catastrophe dont a été victime en 1900 la maison Pol Roger, à Epernay. Un glissement de terrain fit s’effondrer une partie de ses caves sur plusieurs étages, détruisant 500 tonneaux de vin et 1 500 000 bouteilles, et il fallut tout le courage, toute l’obstination des deux frères Pol-Roger, Maurice et Georges, pour surmonter les conséquences funestes de ce désastre et restaurer leurs installations.
L’élaboration du champagne nécessite de vastes caves, en raison de la place occupée par les pupitres de remuage. On estime qu’il faut 200 m2 de surface au sol pour stocker 100 000 bouteilles. Malgré l’installation sur plusieurs niveaux, les caves des établissements du Négoce et du Vignoble réunis s’étendent sur plusieurs centaines de kilomètres d’un dédale souterrain où s’entassent les bouteilles par millions. Comme l’a dit Montorgueil, tout y est à l’échelle de la grandeur, foudres, murailles de bouteilles, attendant dans le repos et le recueillement la vigueur et la finesse que donnent les années [3].

Notes

[1PIERRE (Frère). Traité de la culture des vignes de Champagne, situées à Hautvillers, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, d’après un manuscrit rédigé par le Frère Pierre, élève et successeur de Dom Pérignon, appartenant à Mme la comtesse Gaston Chandon de Briailles et déchiffré par M. le comte Paul Chandon Moët. Épernay, 1931.

[2BARRY (Sir Edward). Observations, historical, critical, and medical on the wines of ancients and the analogy between them and modern wines. Londres, 1775.

[3MONTERGUEIL (George). Monseigneur le vin. Paris, 1927