UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

L’organisation interprofessionnelle

1. NÉCESSITÉ D’UNE INTERPROFESSION DU CHAMPAGNE

C’est un ensemble champenois de plus de 100 000 personnes que constituent les professionnels du champagne et la population non active qui leur est rattachée. Cette masse imposante veut vivre et prospérer, et elle ne le peut que si l’économie viticole de la Champagne, avec ses composantes diverses, complémentaires mais parfois contradictoires, progresse dans l’équilibre.
Ce n’a pas toujours été le cas, comme on le sait, et c’est pourquoi on avait jugé nécessaire dans les années trente d’établir une certaine codification des relations entre Négoce et Vignoble, tout au moins dans le domaine de la fixation du prix du raisin, idée d’où était née la Commission de Châlons. Cet heureux résultat avait montré au Champenois les bienfaits de l’organisation interprofessionnelle. En un sens, il n’était guère prêt à aller plus loin dans cette voie, répugnant comme tout Français, et plus que d’autres peut-être, à sortir de son individualisme. Mais les multiples invasions qu’il a connues lui ont donné une forte conscience du bien commun ; il a l’habitude de se grouper dans les difficultés et s’il n’est pas discipliné par nature, il est cependant disciplinable, qualité que lui prête Michelet dans son Tableau de la France.
La nécessité d’une organisation interprofessionnelle plus poussée s’étant imposée, comme on le sait, pendant la dernière guerre, il en était résulté la création en 1940 du Bureau national du champagne, qui avait été remplacé l’année suivante par le Comité interprofessionnel du vin de Champagne8, groupant les représentants des professions intéressées à la production du champagne.

2. LE COMITÉ INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE - MISSIONS ET STRUCTURES

A. POUVOIRS, ATTRIBUTIONS ET MISSIONS

Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (C.I.V.C) est un organisme semi-public, doté de la personnalité civile, où se rencontrent l’interprofession et les instances gouvernementales, où se décident aussi bien les grandes options de la politique économique de la Champagne viticole que les prescriptions de détail qu’il lui revient d’édicter en tant que gardien de la légalité et mainteneur des usages locaux, loyaux et constants. A ce propos, on doit savoir que les usages locaux et loyaux, une fois codifiés, sont permanents, alors que pour les usages constants une mise à jour peut être nécessaire en fonction de l’évolution des techniques, dans la mesure où la qualité est intégralement maintenue.
A la fois souple et autoritaire, il est une parfaite image de la démocratie, car il n’est pas né de la volonté d’un seul, mais de celle de tous les professionnels intéressés, dans un esprit d’étroite solidarité économique et humaine. Dans L’Histoire de la Guerre du Péloponnèse, Thucydide faisait dire à Périclès : Notre constitution sert de modèle aux cités voisines. Son nom est démocratie, parce qu’elle se propose l’intérêt de tout le peuple. Tous, soumis uniquement aux lois, nous jouissons de l’égalité, tous nous disons notre avis au sujet du gouvernement de la cité. Tout cela peut s’appliquer mot pour mot au C.I.V.C. à commencer par la première phrase, car il est souvent imité ou envié dans les autres vignobles, aucun d’entre eux ne pouvant se prévaloir d’une organisation interprofessionnelle aussi complète dans ses moyens et aussi efficace dans ses résultats. Les décisions du comité, préparées par les professionnels et prises en leur nom, ont en effet force de loi. Un simple avis envoyé à un producteur pour l’inviter à payer sa cotisation commence ainsi : En application de nos décisions réglementaires, de l’arrêté ministériel qui les approuve, et de la Loi de finances qui les rend applicables...
Les professionnels, personnes physiques ou morales, appartenant au C.I.V.C. sont des vignerons, manipulants et non manipulants, des coopératives, des négociants, manipulants et non manipulants. Ils sont libres de ne pas adhérer au syndicat qui les représente au comité, mais le seul fait d’établir une déclaration de récolte, ou de posséder des locaux d’exploitation reconnus par la régie, rend automatiquement l’intéressé ressortissant du C.I.V.C., avec tous les droits mais aussi toutes les obligations qui en découlent dont... le paiement des cotisations. Chaque membre reçoit sa carte professionnelle immatriculée, lui permettant d’exercer son activité dans le cadre de sa profession, avec possibilité dans certains cas de se faire délivrer deux cartes correspondant à deux professions différentes pour deux secteurs précis de ses activités, comme par exemple, comme on l’a déjà vu, le propriétaire-récoltant prenant une carte de négociant-manipulant pour élargir son champ d’action.
Les décisions prises par le C.I.V.C. sont obligatoires pour tous les intéressés, aux termes de la loi qui, en cas d’infraction, a prévu un arsenal impressionnant de sanctions, lourdes amendes, retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, confiscation au profit de l’Etat de tout ou partie des produits faisant l’objet du litige, fermeture temporaire ou définitive des établissements industriels et commerciaux. Selon leur gravité, les sanctions sont prises par le préfet de la Marne ou par le ministre de l’Agriculture.

Les missions du C.I.V.C. sont définies comme suit par l’article 8 de la Loi du 12 avril 1941 :
1° - Etablir le bilan des ressources et besoins et, pour ce faire, prescrire la remise de tous les renseignements d’ordre économique qu’il jugera utile.
2° - Organiser, contrôler, orienter la production, la distribution, la transformation et les échanges sur le marché national ou sur les marchés extérieurs des vins produits dans la Champagne délimitée, dans le souci d’assurer le respect des usages loyaux et constants et le maintien de la qualité.
3° - Organiser, discipliner les rapports entre les diverses professions intéressées.
4° - Intervenir par des mesures générales pour l’approvisionnement du marché en cas de production déficitaire, ou par son assainissement en cas de production excédentaire, en vue d’assurer, dans la mesure du possible, la stabilité des prix à la production et à la consommation.
5° - Etudier et proposer les prix et modalités de paiement applicables aux échanges entre récoltants et négociants ainsi que les rémunérations des divers intermédiaires en cause, sous réserve des dispositions générales applicables en matière de prix.
6° - Etablir les conditions générales des contrats d’exportation et effectuer un contrôle de la qualité des produits exportés aux divers stades de la distribution.
7° - Décider l’établissement des cartes professionnelles.
8° - Etablir, chaque année, le budget nécessaire à la gestion et au contrôle du Comité interprofessionnel du vin de Champagne.

L’article 10 de la loi stipule que le C.I.V.C. a en outre pour attribution les mesures individuelles suivantes :
1° Procéder à la distribution des cartes professionnelles.
2° - Prendre toutes mesures individuelles rendues nécessaires pour l’application des ordonnances prévues aux articles de la loi.
3° - Engager, rétribuer et révoquer le personnel nécessaire à la gestion du comité.

B. STRUCTURES

A la tête est placé le Commissaire du Gouvernement9, autorité de tutelle, qui détient les pouvoirs, signe les décisions, préside les réunions, représente officiellement l’organisme en toutes circonstances10. Le Commissaire du Gouvernement joue en outre un rôle important d’arbitre et de conciliateur entre les deux professions. Depuis 1967, la fonction est exercée par l’ingénieur général de l’Agriculture de la région Champagne-Ardenne.
Deux échelons interprofessionnels viennent ensuite, la Commission permanente et la Commission consultative, que l’arrêté du 20 juillet 1946 a créées en remplacement du Bureau exécutif et du Conseil interprofessionnel prévus par la loi de 1941. La Commission permanente se compose d’un représentant des producteurs et d’un représentant des négociants, nommés par le ministre de l’Agriculture sur proposition des organisations professionnelles intéressées, et qui sont en pratique les deux présidents de syndicat (Union des syndicats, pour le Négoce), considérés l’un comme le président du Négoce et l’autre comme le président du Vignoble. La Commission permanente anime l’interprofession et soumet au Commissaire du Gouvernement les décisions qu’il lui paraît nécessaire de prendre pour assurer l’équilibre et la prospérité de la Champagne viticole. La Commission consultative est l’organe délibérant du C.I.V.C.. Elle comprend en nombre égal des représentants de la Propriété et du Commerce, six pour chacune des deux professions, dont le président. Elle se réunit autant qu’il est nécessaire et traite de tout ce qui intéresse la vie de l’interprofession. Les membres de la Commission consultative sont nommés par arrêté ministériel qui désigne également douze suppléants et les membres de la Commission permanente. Les uns et les autres sont nommés pour une durée de trois ans, renouvelable. De la Commission consultative pendent des commissions spécialisées qui correspondent aux différentes activités du C.I.V.C.et qui sont constituées de vignerons et de négociants. Elles figurent sur l’organigramme précité.
Le C.I.V.C. s’appuie sur les syndicats du Vignoble du Négoce, qui servent d’assise à l’édifice, une politique interprofessionnelle cohérente ne pouvant être menée que si a été définie au préalable la position propre à chacun d’eux. L’ensemble bénéficie du fait que ces syndicats, avec seulement deux porte-parole, sont très représentatifs de leur profession, ce qui est rarement le dans les autres régions viticoles, généralement dotée multiples appellations, chacune ayant son syndicats vignerons.
Le C.I.V.C. est un organisme interprofessionnel à en exemple pour les bases légales qui lui ont été données comme pour la manière dont il a été géré depuis sa création. Le Commissaire du Gouvernement, notamment, a toujours laissé aux présidents du Vignoble e Négoce l’initiative nécessaire pour animer la vie interprofessionnelle, et exercé avec diplomatie son rôle représentant des pouvoirs publics. La structure du comité, ses missions et ses moyens en font, avec le Bureau du cognac, le plus complet et le plus puissant des organismes interprofessionnels viticoles de France, le mieux armé pour mener avec une complète neutralité une action efficace et durable.

C. MOYENS D’ACTION

Le C.I.V.C. a des moyens à la hauteur de sa tâche. Situés au cœur d’Epernay, ses bâtiments s’étendent plus de 3000 m2, depuis que ceux qui ont été inaugurés en 1951 ont été agrandis en 1980-1981. Ils comportent une trentaine de bureaux pour les services administratifs, une dizaine de laboratoires et locaux à usages divers, une salle de réunions, ornée de fresques d’Hilaire représentant les vendanges. Une annexe est occupée par services régionaux de l’I.N.A.O. et de la Répression fraudes, si bien que les trois gardiens de l’appellation Champagne se trouvent réunis.
Les moyens financiers sont considérables et or particularité rare d’être constamment adaptés aux nécessités de l’organisme. Le budget, qui a dépassé 45 millions de francs en 1983, est en effet alimenté essentiellement par des cotisations dont le taux est établi par les professionnels, au sein du comité, puis soumis à l’approbation ministérielle pour être annexé à la Loi de finances qui décide annuellement des impôts et du budget de l’Etat, dont le C.I.V.C., faut-il le dire ? ne reçoit aucune aide. Pratiquement, les cotisations entrent dans la catégorie des taxes parafiscales, créées en marge du budget de l’Etat pour bénéficier à des organismes poursuivant des buts d’intérêt général. Elles proviennent de deux redevances différentes, prélevées sur les raisins récoltés et sur les bouteilles expédiées.
On pourrait craindre que le budget soit ainsi trop étroitement lié à l’importance de la récolte et des ventes de l’année. Mais il est remédié sans difficulté à ce danger par l’existence d’une réserve suffisante pour parer aux déficiences conjoncturelles éventuelles et par la latitude de pouvoir faire relever.., ou abaisser le taux des cotisations. Tout cela, d’une grande souplesse et d’une parfaite efficacité, porte sur un budget qui est l’équivalent de celui d’une ville de 15000 habitants.
Pour son fonctionnement, le C.I.V.C. dispose d’un personnel administratif d’environ 80 personnes avec une direction", qui relève directement du Commissaire du Gouvernement et de la Commission permanente, et différents services qui seront étudiés ultérieurement.

3. L’ORGANISATION DU MARCHÉ PAR LE C.I.V.C.

A. LES CONTRATS INTERPROFESSIONNELS

Les missions et les moyens du C.I.V.C. étant définis, il reste à voir quelles sont ses activités. La plus importante est sans conteste l’organisation du marché intérieur des raisins et des vins. Voici ce qu’écrivait à ce sujet Jean Piérard, directeur du comité, sous le titre L’Organisation interprofessionnelle du champagne, dans Le champagne, brochure éditée par l’Union nationale des œnologues à l’occasion de leur 20e congrès tenu à Reims en juin 1980 : Le problème, comme dans beaucoup de productions agricoles, consiste à concilier des récoltes irrégulières, dont le volume varie parfois du simple au triple, et les besoins d’approvisionnement plus stables des transformateurs les maisons de champagne devant entretenir, dans un souci de qualité, des stocks qui représentent plusieurs années d’expédition. Avant l’organisation du marché, l’équilibre s’établissait tant bien que mal et plus souvent mal que bien. Les récoltes en dents de scie entraînaient des cours en dents de scie pour le prix des raisins et des vins en cercles. Le vigneron était souvent le plus faible. Le négociant courait le risque de spéculer à contretemps. L’un et l’autre souffraient d’un climat d’insécurité.
Les professionnels, dans le cadre du C.I.V.C., ont décidé d’intervenir pour régulariser le marché en mettant sur pied des contrats interprofessionnels. Les premiers se sont succédé comme suit : en 1959, pour une période de 8 ans, en 1967, pour une période de 9 ans, révisé en 1970 et 1973, en 1975 (un an avant l’expiration du second contrat), pour une période de 3 ans, en 1978, pour une période de 6 ans. Ces contrats engagent tous les ressortissants du C.I.V.C. qui les ont souscrits et leurs clauses ont pour eux un caractère d’obligation. Ils portent sur le prix des raisins et vins clairs et sur leur répartition, les possibilités de révision n’intervenant que dans le cadre de celle-ci. Ils sont un facteur déterminant de l’équilibre du marché par leur universalité, qui assure leur efficacité, par leur durée, qui est un gage de stabilité, par leurs remaniements périodiques, qui leur donnent la souplesse nécessaire pour la meilleure adaptation aux conditions économiques de la période pour laquelle ils sont établis. Ils ont joué, de toute évidence, un rôle prépondérant dans l’heureuse évolution de la Champagne viticole, qui leur doit en grande partie sa prospérité actuelle.

B. LA FIXATION DU PRIX DU RAISIN

Chaque année, la fixation du prix du raisin est l’événement marquant de la vie interprofessionnelle. Non seulement elle met en jeu des intérêts importants, pouvant se chiffrer à plusieurs milliards de francs, mais de plus le prix arrêté sert de référence au cours des douze mois qui suivent. On se rappelle que ce problème avait été pendant longtemps une pierre d’achoppement dans les relations entre le Vignoble et le Négoce, jusqu’à ce que le principe d’un prix minimum déterminé pour chaque vendange ait été adopté par la Commission de Châlons. Un nouveau progrès est intervenu dans les années cinquante lorsque le prix du raisin a été accroché à celui de la bouteille terminée, ce qui revient à le calculer par référence à celui du produit transformé, chose extrêmement rare en économie libérale, mais qui est pour les deux professions intéressées une précieuse garantie de la régularité du marché, dont les éléments chiffrés peuvent être ainsi mieux perçus à l’avance.
Le prix du raisin est calculé en prenant 36 % du prix de la bouteille de champagne12, tel qu’il s’établit en moyenne au départ des celliers des négociants pendant la période s’étendant du 1er janvier au 30 juin précédant les vendanges ; un coefficient de conjoncture permet de modifier légèrement le prix ainsi obtenu, dans la limite de
10 % en plus ou en moins, pour tenir compte des conditions du marché de l’année considérée. A ce prix de base peut s’ajouter une prime aux cépages nobles, attribuée aux Pinots noirs et Chardonnays vendus par marcs complets, consentie régulièrement depuis 1948. Certaines années est octroyée une prime spéciale sous forme d’un versement complémentaire et exceptionnel ; lorsqu’elle était allouée dans les années soixante-dix, elle était de l’ordre de
10 % du prix de base, mais en 1980, pour tenir compte de l’insuffisance exceptionnelle de la récolte et marquer sa solidarité avec le Vignoble, le Négoce a accepté de payer une prime non hiérarchisée de 10 F par kilo, amenant le raisin à 23 F 50 dans les crus à 100 %. Le raisin de table valait cette année-là de 2 à 5 F le kilo.

Le prix de base établi par le C.I.V.C. selon les règles exposées ci-dessus est celui qui s’applique aux crus à 100 %, c’est-à-dire aux douze grands crus qui se trouvent au sommet de l’échelle des crus et où le raisin est payé 100 % de ce prix. Il est adapté automatiquement à chaque commune, en fonction de la place qu’elle occupe dans l’échelle des crus de 1945 modifiée, établie pour l’essentiel selon les modalités traditionnelles de classement codifiées en 1911.
A titre d’exemple, si le prix de référence est de 10 F, le kilo de raisins sera payé 8 F dans un cru à 80 % ; si la prime aux cépages nobles est de 0 F 60, pour l’achat de Pinots noirs ou de Chardonnays il sera payé 10 F 60 dans les crus à 100 % et 8 F 60 dans ceux à 80 %. Quand une prime exceptionnelle est prévue, elle est en général la même pour tous les crus.
Lorsque des quantités appréciables de cépages noirs et de cépages blancs se trouvent sur le territoire d’une même commune, celle-ci a deux classements différents dans l’échelle des crus. Tours-sur-Marne a la particularité d’être un grand cru de noirs et un premier cru de blancs.
Le bas de l’échelle, qui était en 1945 à 70 %, en 1971 à 77 % et en 1980 à 78 %, a été porté à 80 % depuis les vendanges 1981 ; simultanément quelques resserrements ont été effectués, sans jamais cependant augmenter le nombre des communes classées comme grands crus. A noter aussi qu’il n’existe plus aucune référence, dans l’actuelle échelle des crus, aux classements anciens par catégories (hors classe, 1RE, 2e, etc.).
Ainsi établi, le prix du raisin est élevé, d’autant plus que peut s’y ajouter une prime d’engagement de vente dont il va être parlé à propos de la répartition des produits de la récolte. Il est quatre à dix fois plus cher que celui du raisin de table et même beaucoup plus cher que dans la plupart des autres vignobles, à l’exception des grands crus de Bourgogne et du Bordelais. Mais il ne subit pas les fluctuations que l’on observe parfois ailleurs d’une année à l’autre. Il est généralement en hausse, comme le prix de revient de la bouteille de champagne, mais en hausse raisonnable, et il peut aussi décroître.
En 1978, le prix du kilo de raisins était de 6 F 65 à 8 F 86 en Champagne selon les crus et les cépages. Il était de 1 F à 1 F 50 dans le Midi pour les vins ordinaires et, pour les vins à appellation contrôlée, de 2 F dans le Saumurois, de 4 F 50 en Bourgogne... mais de 18 F pour le Clos-Vougeot. D’autre part, il est passé de 4 F 88 en 1970 à 11 F 56 en 1979, mais en francs constants, il n’aurait atteint que 5 F 21, soit une augmentation réelle de 6,7 % en 10 ans. Et il est descendu de 8 F 45 en 1974 à 6 F 10 en 1975, soit en francs constants, une baisse de 36 %. Une diminution importante a eu lieu également en 1983.
Grâce aux mesures exposées ci-dessus, la fixation du prix du raisin ne peut plus désorganiser le marché par des variations d’une ampleur exagérée et imprévue, comme c’était souvent le cas autrefois. Elle se fait automatiquement pour l’essentiel ; les discussions de l’interprofession n’ayant plus comme objet que le coefficient de conjoncture et les primes, elles se déroulent beaucoup plus calmement. En ce qui concerne les paiements du raisin par les acheteurs, ils se font selon des règles précises, déterminées dans le cadre interprofessionnel, généralement en cinq échéances égales et sans intérêt, échelonnées sur onze mois.
La fixation du prix du raisin est complétée chaque année, une fois les vendanges terminées, par celle du prix de la pièce de 202 litres de vin clair, établi par la Commission consultative du C.I.V.C. sur la base du prix au kilo dans le cru considéré, majoré d’un forfait pour frais de vinification. Le prix de la pièce est dégressif en fonction de la nature des vins, selon qu’il s’agit de cuvée, de 1re ou 2e taille.
Une fois établis, les prix sont rendus obligatoires dans toutes les transactions par arrêté préfectoral. Tout achat de raisin ou de vin clair qui ne respecterait pas les prix fixés entraînerait pour l’acheteur et les intermédiaires des amendes fiscales et la perte du droit à l’appellation Champagne, non seulement pour les achats en cause, mais encore pour les autres vins de la récolte, le C.I.V.C. étant en outre fondé à demander l’application des sanctions propres à l’organisation interprofessionnelle.
Pour les transactions de vins en bouteilles entre professionnels les prix sont libres, mais afin de privilégier la vente de la récolte en raisins, les négociants qui s’approvisionnent en bouteilles auprès du Vignoble doivent verser à un fonds spécial créé par le C.I.V.C. un pourcentage fixé généralement à 10 % du prix de la transaction, les sommes ainsi collectées étant attribuées aux récoltants vendeurs de raisins et engagés au contrat interprofessionnel.
Dans la pratique, en vue de déterminer le prix du raisin, des réunions professionnelles ont lieu à la fin de l’été, d’abord au sein des syndicats du Vignoble et du Négoce, puis entre les responsables des deux professions dans le cadre du C.I.V.C. L’accord se réalise graduellement, généralement sans heurt grave, sinon sans marchandages comme il est normal entre vignerons souhaitant vendre au meilleur prix et négociants désirant acheter au meilleur compte. La prise définitive des décisions s’entoure d’une certaine solennité. Huit jours avant les vendanges se tient à l’hôtel de ville d’Epernay la Réunion des prix au cours de laquelle, en présence du préfet de région et de personnalités, la Commission consultative du C.I.V.C. élargie, tire la conclusion des discussions préalables et fixe le prix du raisin. C’est aussi à la Réunion des prix que sont proclamées les dates de début et de fin de vendanges dont il sera parlé plus en détail au chapitre 10, ainsi que de toutes les prescriptions édictées par le C.I.V.C. pour le bon déroulement de la récolte.

C. LA RÉPARTITION DU PRODUIT DE LA RÉCOLTE

Le but de ce qu’il est convenu d’appeler en Champagne la répartition est d’harmoniser, grâce aux possibilités créées par le contrat interprofessionnel et face à un équilibre de l’offre et de la demande rarement atteint naturellement, les ressources disponibles en raisins et en vins clairs et les besoins en approvisionnement. Aucun produit de la récolte n’y échappe, mais les transactions ne sont pas autorisées au stade du moût13.

Il faut faire en sorte en premier lieu que les raisins offerts à la vendange soient tous écoulés, mais en même temps qu’ils soient achetés par ceux à qui ils doivent normalement revenir, afin que soient évités mévente et accaparement. C’est l’objet du contrat d’engagement qui, on l’a vu, a constitué la substance essentielle de chacun des contrats interprofessionnels qui ont vu le jour depuis 1959. Auparavant, acheteurs et vendeurs étaient libres de venir ou non sur le marché des raisins. En année de petite récolte, le vigneron pouvait décider de ne pas vendre, accentuant ainsi la pénurie. A l’inverse, le négociant, en année d’abondance, pouvait décider de ne pas acheter ou de limiter ses achats au minimum, rendant ainsi la pléthore encore plus difficile à supporter. Seuls l’opportunisme et l’esprit spéculatif guidaient les partenaires dans leur conduite, ce qui en faisait trop souvent des adversaires et compromettait l’économie viticole de la Champagne et tout essai d’organisation du marché. On a heureusement compris que pour en maîtriser réellement les soubresauts, il était nécessaire d’inviter les uns et les autres à fixer à l’avance leur position pour une période de temps donnée en souscrivant des engagements de vente et d’achat.
Dans le cadre collectif du contrat interprofessionnel de 1978, mais à titre personnel et sans que l’engagement soit obligatoire pour tout le monde, le vigneron engagé s’oblige à vendre au Négoce une proportion de sa récolte dont il détermine le pourcentage, à choisir entre 10 et 100 %. De son côté, le négociant engagé s’oblige à acheter au Vignoble une quantité de raisins correspondant à une proportion du volume de ses ventes en bouteilles au cours de la campagne écoulée, selon un pourcentage à choisir entre 85 et 115 %. La récolte d’une maison possédant des vignes s’ajoute à son engagement d’achat, mais le total de ces deux éléments ne doit pas représenter un pourcentage inférieur à 85 % ni supérieur à 115 %. Dans la pratique, l’engagement du Négoce acheteur de raisins est à peu près total et celui du Vignoble est de l’ordre de 50 %, ayant oscillé de 1959 à 1982 entre 43 et 52 %. En cas de récolte déficitaire, les négociants engagés ont une priorité absolue d’achat par rapport à des négociants qui n’auraient pas souscrit au contrat. A l’inverse, en cas de récolte excédentaire, les vignerons engagés peuvent seuls venir sur le marché tant que les quantités prévues par leurs engagements de vente ne sont pas absorbées.
Les engagements pris dans ces conditions, signés sur un formulaire ad hoc, sont valables et obligatoires pour toute la durée du contrat, sans modification possible du taux d’engagement, sauf à l’occasion des révisions prévues par le contrat. Celui-ci, grâce à cette possibilité, n’est pas d’une rigidité excessive pour le vigneron, d’autant plus qu’il a un large choix de décisions avec l’option qui lui est donnée de vendre ses raisins, de les garder pour manipuler, de les vendre à une coopérative, et même de jouer sur les trois tableaux. Mais qui dit contrat dit contrainte et ses dispositions, bien que librement établies et acceptées par les intéressés eux-mêmes, ont pu parfois paraître pesantes. C’est pourquoi en 1973 et en 1974 a existé un marché libre, autorisé lors de la révision de 1973 et fonctionnant en marge de la Répartition. Celle-ci ne s’en est pas trouvée désorganisée, malgré une baisse momentanée des engagements du Vignoble, mais il a semblé préférable de supprimer le marché libre à partir de 1975, afin de renforcer la cohésion du contrat ; ce marché n’avait d’ailleurs porté que sur 13 % des achats en 1973 et 11 % en 1974, avec des prix du secteur libre différant peu du prix officiel.
D’autres mesures peuvent être prises dans certaines circonstances. Ainsi, afin d’inciter le Vignoble à s’engager, le contrat de 1967 avait prescrit qu’une redevance devrait être versée au C.I.V.C. par les négociants engagés, d’un montant égal à 8 % de leur achats aux vignerons, engagés ou non, en raisins ou en vins clairs ou sur lattes ; les sommes ainsi recueillies devaient être réparties sous forme de primes entre les seuls vignerons engagés, proportionnellement aux quantités de raisins livrés dans le cadre de leur engagement. Ce mécanisme a joué de 1967 à 1975 inclus. Il en a été de même en 1982 et 1983, avec une redevance ramenée de 8 à 3 % et ne s’appliquant pas aux achats de vins sur lattes. Il faut noter enfin que sont généralement admis les contrats prioritaires conclus directement entre négociants engagés d’une part, récoltants ou coopératives engagés d’autre part. Dans le cadre de la Répartition, ces contrats restent soumis aux limites quantitatives, le bénéfice de cette franchise étant limité pour chaque négociant à un nombre d’hectares représentant un certain pourcentage de couverture de ses ventes en bouteilles à la clientèle. Mais les négociants intéressés ont ainsi la possibilité de s’adresser de préférence à certains livreurs leur assurant la fourniture de leur choix.
Le contrat interprofessionnel garantit aux vignerons engagés la vente de leurs raisins dans la limite de leur engagement. En année normale, ils sont absorbés en totalité par le Négoce. Mais en cas d’abondance extraordinaire, il ne peut en être de même. Aussi a-t-il été créé en 1959, sous l’égide du C.I.V.C.la Société d’intervention de la Champagne viticole, société commerciale à responsabilité limitée, dont les deux gérants étaient les présidents du Négoce et du Vignoble, et qui était constituée par deux sociétés civiles émanant des syndicats, la Société civile des Négociants champenois et la Société civile des Vignerons champenois.
La Société d’intervention, habituellement en sommeil, pouvait être mise en activité en année de récolte pléthorique. Elle se chargeait alors provisoirement de la différence entre la masse des engagements de vente des vignerons et celle des engagements d’achat des négociants. Ainsi, lorsqu’elle a fonctionné en 1975 pour la première fois, tout négociant engagé a dû rentrer une certaine quantité de vendange au-delà de ses engagements d’achat. La société a acheté 28 % des raisins engagés, pour une valeur d’environ 100 millions de francs. Elle a pris en charge le paiement des raisins, des frais de pressurage et de commission, grâce au financement assuré par un pool bancaire. Les vins, répartis entre 73 maisons, ont été travaillés à façon par les négociants en cause, qui se sont engagés à les acheter dans un délai de trois ans à la société qui, en attendant, en restait propriétaire. La Société d’intervention a fonctionné à nouveau pour les vendanges de 1976.

En 1982 et 1983, années de très fortes récoltes, un mécanisme de stock régulateur a été instauré. Des mesures de blocage partiel ont été prises par le C.I.V.C. lors des vendanges, dans le but de maintenir l’équilibre du marché et de pouvoir faire face plus facilement aux risques d’éventuelles récoltes déficitaires ultérieures. Il était alors interdit de procéder, jusqu’à nouvelle décision de l’interprofession, à des transactions et à des opérations de tirage en bouteilles portant sur les quantités de moût et de vin soumises au blocage, celui-ci étant contrôlé par les services fiscaux. Ces quantités correspondaient à un potentiel de 25 millions de bouteilles pour la récolte de 1982 et de 75 pour celles de 1983. Le système du stock régulateur ayant donné satisfaction, il a été prévu pour l’avenir l’abandon définitif du recours à la Société d’intervention.
Tous les achats de vins en cercles ou en bouteilles effectués au Vignoble par le Négoce entrent normalement dans le cadre de l’organisation des approvisionnements définie par le contrat interprofessionnel. C’est donc le cas pour le marché des vins clairs, qui s’échelonne habituellement du 3e au 7e mois suivant la vendange. Son début, fixé par une décision du C.I.V.C., correspond à l’époque où les vins, venant de terminer leur première fermentation et parfaitement limpides, sont devenus des vins clairs. Sa fin coïncide en principe avec les dernières opérations d’assemblage qui précèdent elles-mêmes les tirages en bouteilles. Le marché des vins en bouteilles est dit marché des vins sur lattes (vins en attente de remuage), mais il intéresse aussi des vins sur pointe et parfois même des bouteilles terminées ; il a lieu de décembre à août.
En année normale, le C.I.V.C. laisse s’établir le jeu de l’offre et de la demande. Mais en cas de pénurie un quota d’attribution peut être fixé aux maisons en fonction des ressources mais aussi, s’il y a lieu, de la fraction de leur engagement qui n’a pu être honorée en raisins, ce qui permet d’assurer entre elles une stricte égalité et d’éviter la spéculation sur les deux marchés complémentaires. Tout cela, encore une fois, ne concerne que les transferts de bouteilles du Vignoble au Négoce. Entre négociants, le marché des vins sur lattes n’est soumis à aucune contrainte. Dans tous les cas, le prix des transactions de vins en bouteilles est librement débattu entre vendeurs et acheteurs.

Modalités de la répartition
Dans la pratique, la répartition s’effectue selon des modalités reprises chaque année et qui requièrent du C.I.V.C. une activité intense au moment des vendanges. II est créé pour la période considérée, au sein de sa structure administrative, un Service des vendanges, qui travaille presque en permanence, dans des conditions qui ne sont pas sans rappeler celles des opérations militaires par son organisation de crise et les décisions rapides qui doivent être prises dans des situations fluctuantes et parfois imprévues, malgré une part très importante de préparation. En effet, il n’est pas simple, en restant dans les limites précises du contrat interprofessionnel, d’ajuster l’offre et la demande sur le double plan de la quantité et de la qualité, dans une situation rendue évolutive par les incertitudes des conditions atmosphériques avant et pendant la durée des vendanges, qui se poursuivent réglementairement pendant environ un mois, et cela aussi bien dans l’abondance que dans la pénurie. Les offres de vente sont liées à divers facteurs qui sont principalement le volume de la récolte, le niveau de classement en appellation Champagne, la surface des vignes en rapport, le prix du raisin, l’importance des engagements de vente, globalement et par cru. De même, les demandes d’achat sont fonction de la conjoncture économique, du niveau des réserves, de la trésorerie et du taux d’intérêt de l’argent, du prix du raisin et de l’engagement au contrat.
Tout est mis en œuvre pour que le marché se déroule dans le respect intégral des règles fixées par l’interprofession, tout en donnant satisfaction dans la mesure du possible aux parties en présence, sans perdre de vue que tous les raisins qui sont à vendre doivent l’être, et que les acheteurs engagés ont priorité. A cet effet, le C.I.V.C. prend avant les vendanges un certain nombre de mesures qui sont habituellement les suivantes :
—  au mois de juillet, recueil des déclarations établies par les vignerons faisant connaître leurs surfaces engagées en production pour les prochaines vendanges ;
—  dans les semaines qui précèdent celles-ci, enquête auprès des communes sur leurs prévisions de vente de raisins avec le détail par pressoir ;
—  dans le même temps, notification aux maisons de leur cadre d’approvisionnement avec envoi d’un formulaire de demande d’achat ;
—  une quinzaine de jours avant le début des vendanges, retour des formulaires par les maisons avec leurs demandes établies par région et par cru ;
—  quelques jours plus tard, envoi à chaque vigneron engagé d’une carte de vendeur de raisins engagés indiquant la proportion de récolte à fournir, chaque pressoir recevant de son côté une récapitulation de ses livreurs ;
—  une semaine avant le début de la cueillette, notification aux maisons d’une première tranche d’approvisionnement et aux communes des attributions d’achat les concernant.

Dans les attributions aux maisons, il est bien entendu tenu compte de leur engagement, mais aussi de leurs vœux dans le domaine de la qualité, basés sur leurs habitudes d’achat chez leurs livreurs habituels, qui sont connues sous le nom de références. Le C.I.V.C. maintient le statu quo dans toute la mesure du possible, ce qui nécessite un double arbitrage, en quantité et en qualité, dans chaque cru, dans chaque ensemble de crus ou région, et finalement à l’échelle du vignoble tout entier.
Pour la répartition des raisins, le C.I.V.C. est assisté par une commission de négociants, à laquelle sont adjoints un représentant de l’Association professionnelle des courtiers et un représentant du Syndicat général des vignerons. Dans chaque cru, il est secondé par une Commission vendange, composée du bureau de la section locale du Syndicat général des vignerons auquel sont adjoints un courtier ou agent de courtier et, s’il y a lieu, le président de la coopérative locale. Ce sont ces commissions qui font connaître au Service des vendanges les quantités de raisins offertes à la vente dans la commune et la situation pouvant résulter d’une différence éventuelle entre les quantités attribuées aux maisons et celles qui sont effectivement disponibles. Elles règlent en outre toute contestation qui surviendrait entre les parties intéressées et, d’une manière générale, assurent la bonne exécution des vendanges dans leur cru.
Au cours du déroulement de la cueillette, la première tranche d’approvisionnement est complétée par le C.I.V.C. en fonction des offres de raisins supplémentaires ; on s’efforce d’assurer le bon écoulement de tous les raisins, y compris de ceux proposés par les vignerons non engagés ou souhaitant vendre au-delà de leur engagement. S’il y a pénurie, les ressources sont réparties par priorité entre les négociants engagés, au prorata de leurs ventes en bouteilles au cours de la campagne écoulée. Il en est ainsi pour les raisins, mais aussi ultérieurement, comme on l’a vu, pour les vins clairs et sur lattes, dont les marchés sont toujours interrompus pendant les vendanges par ordre du C.I.V.C. ; lorsque l’évolution de la vigne fait craindre la pénurie, il arrive même qu’il décide l’arrêt des transactions des vins clairs et sur lattes dès le mois de juillet afin de ne pas fausser le jeu de la future répartition.
Afin que soient respectées dans leur intégralité les mesures qui permettent de mener à bien la répartition, le C.I.V.C. assure le contrôle du mouvement des raisins et des moûts en subordonnant leur livraison à la présentation par l’acheteur de bons de réapprovisionnement délivrés par le Service des vendanges. Chaque année, environ 30000 bons sont ainsi mis en circulation ; nominatifs, numérotés, incessibles et domiciliés sur un cru, ils doivent, pour devenir valables, être visés par le président de la Commission vendange locale. Ils sont exigés par la régie pour l’obtention des titres de mouvement. Des bons sont également délivrés aux maisons pour la part de leur approvisionnement provenant de la récolte de leur propre vignoble, s’il y a lieu, et pour les achats de vins clairs et sur lattes. En fin de vendanges, des bons de livraison définitifs sont établis pour toutes les transactions qui ont été effectuées entre la Propriété et le Commerce. Ils sont rédigés en 4 exemplaires, destinés à l’acheteur, au vendeur, au mandataire éventuel, au C.I.V.C. aux fins de contrôle.

En période de vendanges, si la répartition est la tâche essentielle du C.I.V.C., il lui incombe également d’autres obligations qui seront étudiées ultérieurement.

4. LES AUTRES ACTIVITÉS DU C.I.V.C.

En dehors du rôle qu’il joue dans l’organisation du marché interprofessionnel des raisins et des vins, le C.I.V.C. a de nombreuses activités. Certaines d’entre elles seront traitées ultérieurement à l’occasion de l’étude de leur champ d’application, mais il convient de les passer ici rapidement en revue, en même temps que les services chargés de les mener à bien sous les ordres de la direction et selon les directives permanentes ou particulières données par la Commission consultative et les commissions spécialisées.

A. LES SERVICES TECHNIQUES

En premier lieu, il faut citer le domaine de la technique viticole et vinicole, particulièrement fourni, pour lequel les Services techniques disposent de terrains d’essai, d’une dizaine de laboratoires modernes et bien équipés, de salles de dégustation, d’un cellier expérimental, de caves, d’une vinothèque et d’une bibliothèque. Le personnel, nombreux et choisi, est placé sous la direction du Chef des Services techniques, personnage important de la Champagne viticole14, qui remplit aussi les fonctions de directeur de l’A.V.C.15. Il est réparti en un secrétariat-documentation et deux départements, l’un de viticulture, l’autre d’œnologie et de recherche.

Les secteurs d’activité des Services techniques sont les suivants : défense de la qualité et de la réglementation : sélection clonale des plants champenois, examen des vins par analyse et dégustation, etc. ; essais : procédés de plantation, de culture, de fumure ; assistance aux professionnels : lutte contre les accidents, maladies et parasites du vignoble, fourniture de bois à greffer, consultations, analyse des sols et des vins, cours d’initiation à la dégustation et cours d’œnologie ; expérimentation des matériels, procédés et produits, en vue de l’homologation, de l’interdiction ou des conseils d’emploi, étude de l’outillage et de sa normalisation ; vulgarisation viti-vinicole par diffusion de documents, conférences-débats, publication du mensuel Le Vigneron champenois ; recherche œnologique. Les Services techniques exercent en outre un rôle permanent de contrôle du respect des règles de l’appellation et du maintien de la qualité.

B. LE SERVICE D’INFORMATION ET D’ACCUEIL

L’importance du Service d’information et d’accueil est soulignée par celle des moyens financiers dont il dispose, qui atteignent le tiers du budget total du C.I.V.C. Il est vrai qu’étant chargé de la défense du nom champagne, il a à supporter les frais considérables des actions menées en justice pour la protection de l’appellation.

Le service est dirigé par le Délégué à l’information16, assisté pour la fonction accueil par le Délégué à l’accueil17. Il utilise les services, à Paris, et à l’étranger dans dix des principaux marchés du champagne, de conseils en relations publiques, dont les agences prolongent l’action du C.I.V.C. en l’adaptant aux particularités locales et contribuent dans une large mesure, pour celles qui exercent en dehors de France, au rayonnement du champagne dans leurs pays respectifs, à savoir : l’Allemagne fédérale, l’Australie, la Belgique, le Canada, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Hollande, l’Italie, la Suisse, le Venezuela.

Le Service d’information et d’accueil a de nombreux secteurs d’activité qui sont regroupés ci-après pour chacune de ses trois missions, défense de l’appellation, information et accueil.

a. Défense de l’appellation Champagne

Le service intervient chaque fois qu’il est souhaitable pour la défense de l’appellation, en s’efforçant, selon les modalités exposées au chapitre 6, de faire cesser les usurpations dont elle peut être l’objet.

b. Information

Le service agit au profit de l’interprofession en utilisant des techniques de relations publiques, ce qui relève de la publicité étant en général du ressort des professionnels dans le cadre de la promotion des marques. Responsable de la propagande officielle de la communauté viticole champenoise, son action s’exerce dans plusieurs directions. Il s’applique à faire comprendre ce qu’est exactement le champagne, en éduquant le public et les formateurs d’opinion, notamment dans les domaines de l’appellation et de la qualité. Il répond à toute demande de renseignements sur le champagne, en France et à l’étranger, où ses conseils en relations publiques tiennent un bureau d’information, mènent leurs propres actions de promotion et, pour certains, éditent leurs documents et publient un périodique d’information. Il s’efforce de développer de bonnes relations avec la presse écrite, parlée et télévisée, afin de créer et entretenir un état d’esprit favorable au champagne, tout en s’employant à redresser les commentaires inexacts ou tendancieux. Il entretient des contacts avec les représentants de la France à l’étranger (conseillers commerciaux des ambassades, bureaux de la SOPEXA18) en les intéressant aux besoins du champagne en matière d’exportation d’une part, de défense de l’appellation d’autre part. Il s’attache à faire naître et croître autour du champagne une atmosphère de prestige, en en parlant et en en faisant parler dans un contexte approprié. Il développe les relations avec les milieux de l’hôtellerie, de la sommellerie et de la distribution commerciale, et il diffuse à leur personnel les règles du service et de la conservation du champagne. Il maintient les liens privilégiés qui existent entre le champagne et les sociétés d’amis du vin, les professionnels de la vigne et du vin, etc. Il gère la Route du champagne.

Les moyens utilisés sont nombreux et consistent essentiellement en documents édités en plusieurs langues,
cartes, films d’information et de prestige, films fixes à l’usage des écoles, photothèque et bibliothèque, communiqués et articles fournis à la presse, interviews de radio et de télévision, manifestations diverses, voyages de presse, concours pour les professions hôtelières, tournées de conférences, expositions photographiques, octroi d’un diplôme Les Amis du champagne aux meilleurs alliés du champagne, participation à diverses manifestations lorsque la présence du champagne y est jugée nécessaire sur le plan interprofessionnel.

c. Accueil

Le C.I.V.C. reçoit beaucoup et se doit de le faire d’une manière digne du vin de grand prestige qu’il représente. Pierre Andrieu a écrit à ce sujet : Particulièrement en Champagne, nous fûmes reçus par le C.I.V.C. avec la générosité et la courtoisie de grand seigneur qui en est la règle (8). La fonction accueil répond à une obligation de courtoisie, mais aussi à un souci d’information. Il s’agit de montrer, de façon didactique et sous leur meilleur aspect, les réalités du champagne présentées dans le milieu dont elles sont inséparables. Il doit être fait également en sorte que le visiteur reparte en gardant un souvenir inoubliable de son périple et, par voie de conséquence, du champagne lui-même. Le programme type d’une visite comporte un circuit accompagné du vignoble, des visites d’exploitations et de caves, des entretiens ou, pour les groupes, la projection d’un film documentaire et un exposé, éventuellement du tourisme en Champagne, et dans la mesure du possible un ou plusieurs repas au champagne permettant dégustation et conversation à bâtons rompus.
Les invités du C.I.V.C. sont ceux qui correspondent aux diverses missions du Service d’information et d’accueil ci-dessus énumérées. Beaucoup d’entre eux viennent de l’étranger, le plus souvent aiguillés sur le C.I.V.C. par ses conseils en relations publiques ou même comme participants d’un voyage organisé par ces derniers. Le C.I.V.C. reçoit ainsi bon an, mal an, 2 à 3000 personnes, parmi lesquelles des hautes personnalités étrangères, 2 à 300 journalistes venant individuellement ou en associations, environ un millier de professeurs et élèves des écoles hôtelières, des restaurateurs et sommeliers, du personnel navigant commercial des compagnies aériennes, des étudiants des facultés de géographie et des grandes écoles agricoles, des groupes d’œnophiles, des personnalités diverses dont le rayonnement social et professionnel est susceptible de servir la cause du champagne.

C. LES AUTRES SERVICES

Avec des tâches peut-être moins spectaculaires que celles dévolues aux Services techniques et au Service d’information et d’accueil, les autres services du C.I.V.C. ont des activités importantes, indispensables à la bonne marche de l’organisme.
Ce sont le Service exportation, qui assure, pour le commerce extérieur, l’établissement des statistiques et de la documentation générale, ainsi que l’étude des marchés, et qui délivre les certificats d’origine pour tout envoi à l’étranger ; le Service documentation et études, dont le titre est suffisamment explicite ; le Service propriété et vignoble, qui est chargé, outre le contrôle de tous les documents concernant la récolte, de tout ce qui a trait à l’encépagement, aux plantations, aux engagements de vente de raisins dans le cadre du contrat interprofessionnel, et de l’information des récoltants dans tous les domaines juridiques et réglementaires intéressant leur exploitation ; le Service de la comptabilité, qui est chargé de toutes les opérations et prévisions concernant le budget et la gestion financière en général, du recouvrement des cotisations dues par les ressortissants, de la tenue des comptes, de l’établissement des comptes de gestion et des bilans annuels ; le Service de l’informatique, qui traite sur un ordinateur installé dans les locaux du C.I.V.C. divers travaux d’ordre statistique ainsi que les informations fournies par les déclarations de récoltes et de stocks, les fichiers des récoltants, l’état des terroirs, les expéditions du Vignoble, les résultats des marchés d’exportation, etc. ; le Service du matériel, qui est chargé des approvisionnements de toute nature, de l’entretien du matériel et des locaux. Il faut aussi citer le Service du contrôle qui, sous la direction d’un inspecteur de la Répression des fraudes, sera étudié ultérieurement, et le Secrétariat de la direction, à qui incombe la délivrance des autorisations de mouvement des vins entre Vignoble et Négoce, celle des cartes professionnelles des négociants, l’immatriculation des marques, la centralisation des déclarations de sorties, de chiffres d’affaires et de stocks des négociants et divers travaux de documentation.

D. L’INFORMATION DES PROFESSIONNELS

Le C.I.V.C. publie un Bulletin trimestriel d’Information et divers documents, circulaires et tableaux statistiques, destinés à l’information de ses ressortissants. Il assure en outre la diffusion du Vigneron champenois, la revue technique de l’A.V.C.

E. LES AIDES BUDGÉTAIRES

Avant d’en terminer avec les activités du C.I.V.C. il faut citer l’allocation d’aides budgétaires. Les bénéficiaires en sont les communes viticoles, pour l’aménagement des chemins ruraux et l’assainissement hydraulique du vignoble, jusqu’à concurrence de 25 % du montant des travaux, et les coopératives, pour la construction ou l’achat de cuveries, batteries de cuves de débourbage, pressoirs, quais à raisins, machines à laver les paniers, dans le cadre de l’équipement du vignoble et grâce à une section spéciale du budget alimenté par les récoltants eux-mêmes.

5. BILAN DE L’ORGANISATION INTERPROFESSIONNELLE

Mise en œuvre par le Comité interprofessionnel du vin de -Champagne, l’organisation interprofessionnelle a été pour la Champagne viticole une réussite incontestable, qui lui a apporté la sécurité et la prospérité. Elle lui a donné également la sérénité, en contribuant à abolir les barrières de méfiance qu’avaient élevées entre vignerons et négociants les excès et incompréhensions d’autrefois. « Il y a un siècle », a dit le président du Vignoble, Marc Brugnon, dans le discours qu’il a prononcé à l’assemblée générale de l’A.V.C. de 1978, « ils se trouvaient souvent dos à dos. La reconstitution du vignoble, la crise de 1930 les ont mis face à face à partir de 1935 dans le cadre de la Commission de Châlons. Depuis bientôt 37 ans dans le C.I.V.C. et plus de 20 ans par le contrat, ils sont côte à côte », par cc contrat dont le président du Négoce, Jean-Michel Ducellier, disait à son tour, au banquet de l’Assemblée générale du Syndicat général des vignerons de la même année, qu’il « a atteint son premier objectif en sécurisant tour à tour acheteurs et vendeurs de raisin ». Les uns et les autres ne sont plus adversaires mais complices, d’une complicité bien champenoise, où chacun se sent de support [1]. Les responsables des deux professions ont pris l’habitude de se rencontrer et, s’asseyant à la même table, de s’estimer, acceptant les différences, recherchant les convergences, parlant bouchons, bouteilles, comme on dit en Champagne, en partenaires conscients de la complémentarité de leurs intérêts. Les preuves de cet état de grâce sont nombreuses, depuis le discours de clôture prononcé par le président de l’Union des syndicats du commerce des vins de Champagne à l’assemblée générale... du Syndicat général des vignerons, jusqu’aux articles apaisants que l’on peut lire aux pires moments dans le journal du Vignoble.
Il faut d’autant plus s’en féliciter que, pour en arriver là, de sérieuses difficultés ont dû être surmontées. A peine sortie des limbes, l’organisation interprofessionnelle était déjà contestée. Le baron Le Roy, président de 1’I.N.A.O., a écrit dans sa préface à l’ouvrage Le Vignoble et le vin de Champagne de Georges Chappaz que le C.I.V.C. avait soulevé au début les plus vives appréhensions ; on craignait aussi bien le renforcement d’un dirigisme nocif que la mainmise d’une partie sur l’autre. Les caprices de la nature, les dangers de la conjoncture, ont souvent remis en cause les résultats acquis. Mais les crises ont en définitive été bénéfiques car la façon dont l’organisation interprofessionnelle a su les maîtriser a justifié sa raison d’être jusqu’à la rendre indispensable, et cela grâce à la discipline intelligente des professionnels et à la chance qu’ils ont eue d’avoir toujours à leur tête des hommes éminents, des animateurs dévoués qui, à la suite de Robert-Jean de Vogué et Maurice Doyard, ont maintenu énergiquement la barre.

Notes

[1Guide d’or de Champagne. Cazilhac 1977.