UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

La protection de la vigne contre les maladies et les parasites

1. NÉCESSITÉ DE LA PROTECTION

La vigne, on vient de le voir, est constamment menacée par les maladies, dont le nombre approche la vingtaine, et par une foule de ravageurs. Le vigneron s’est donc toujours efforcé de protéger ses ceps et ses raisins, parfois même autrefois par d’étranges moyens. On lit dans la Maison Rustique d’Estienne et Liebault que les chenilles et poux, ou autres bestellettes ne gasteront le bourgeon de la feuille de la vigne, si la serpe, de laquelle l’on ellaguera, ou couppera, et taillera les vignes, est oincte avec sang de bouc, ou graisse d’asle ou d’ours, ou d’huile où auront bouilli les chenilles, ou ails pilez. Quant aux petites bestes, que l’on appelle hannetos, pour les chasser il faut faire parfums dans les vignes, de fiens de boeuf, ou de quelque vieille savane, ou de corne de cerf ou de poil de femme, ou planter dans la vigne de la pivoine. La nécessité de la protection demeure, d’autant plus impérieuse que l’on sait maintenant que beaucoup d’ennemis de la vigne causent des dégâts qui se font sentir non seulement pour la récolte attendue, mais aussi pour les années à venir. II faut donc trouver pour chaque cas le remède qui convient.

2. MOYENS DE PROTECTION

Les premiers combats spectaculaires ont été menés dans la deuxième moitié du XIXe siècle contre les grandes invasions cryptogamiques, avec les résultats que l’on sait contre l’oïdium, avec l’emploi du soufre, et contre le mildiou, avec celui du sulfate de cuivre associé avec le lait de chaux dans la bouillie bordelaise et avec le carbonate de soude dans la bouillie bourguignonne. Seule la pourriture grise est restée longtemps sans remède mais, comme on l’a vu, des progrès, malheureusement remis en question, ont été faits dans les années 1970 pour s’en protéger. Quant aux maladies à virus, elles peuvent être guéries par des traitements thermiques appropriés.
La lutte contre les insectes a été plus décevante, avec la victoire du phylloxera et les attaques sans remède de nombreux ravageurs.
Pendant longtemps le vigneron champenois n’était guère mieux armé que ses ancêtres qui n’avaient d’autres secours que ceux de la nature, comme le botteret, petit crapaud qui mangeait les insectes, ou de l’Église qui les exorcisait. On a déjà rencontré des anecdotes ayant trait à cette pratique, en voici d’autres : en 1516, le jugement ecclésiastique suivant était rendu à Villenauxe : Admonestons les mulots et chenilles de se retirer dans six jours : et, à faute de ce faire, les déclarons maudits et excommuniés ; en 1665, l’évêque de Troyes autorisait les prêtres de Sézanne à exorciser les insectes connus sous le nom de ubéricots, urebecs, ou urbères, et il en était encore de même en 1820 et 1834 [1].
Aujourd’hui, on dispose de bons insecticides et produits de traitement, dont l’efficacité progresse constamment, en même temps d’ailleurs que la souplesse d’emploi. C’est ainsi que des fongicides nouveaux, susceptibles d’être fortement concentrés dans un faible volume d’eau, se sont substitués à la bouillie bordelaise qui comportait de lourdes servitudes d’utilisation et faisait décrire à Maurice Hollande, en 1952 encore, ces corvées ingrates et malsaines que le vigneron vert-de-grisé, les yeux brillants et larmoyants, accomplit sans se plaindre [2]. En 1976, on a découvert des produits chimiques dont les molécules organiques ont le pouvoir d’entrer dans la plante pour tuer les champignons qui sont déjà logés dans les tissus végétaux ; plus efficaces, d’une meilleure rémanence, ils échappent au lessivage de la pluie. La recherche est permanente ; on a mis au point des produits dont chacun combat à la fois plusieurs parasites, et si ceux-ci développent des souches résistantes, ou si de nouveaux ennemis de la vigne apparaissent, les palliatifs sont en général trouvés assez rapidement.

3. ÉPOQUES ET FRÉQUENCES DES TRAITEMENTS

Pour que les traitements soient efficaces, il faut qu’ils soient faits en temps utile, en fonction des caractéristiques de chaque objectif. Des traitements d’hiver et de prédébourrement sont appliqués sur les charpentes, dans le but de lutter contre l’excoriose, l’acariose et divers insectes qui sont également traités au débourrement avec des pyréthrines de synthèse. À la fin du printemps et en été, sauf pendant la période de la floraison et celle qui précède les vendanges, ont lieu les autres traitements, qui ont pour objet la végétation et les raisins. Certains sont en nombre fixe. D’autres varient selon le développement des attaques des parasites, souvent liées aux conditions atmosphériques, la pluie pouvant d’ailleurs obliger à multiplier les interventions non seulement parce qu’elle favorise en atmosphère chaude les maladies cryptogamiques, mais aussi parce qu’elle dilue et entraîne les produits déposés sur la végétation. En année normale, il faut compter 8 à 10 traitements mais, dans les années exceptionnelles de graves menaces ou de pluies fréquentes, 12 à 15 peuvent être nécessaires.

4. PROCÉDÉS ET APPAREILS

La qualité mécanique de la pulvérisation a une grande influence sur le résultat. Il importe que le mode d’application procure une bonne répartition du produit sur la végétation, l’excès pouvant être aussi dommageable que l’insuffisance peut être inefficace. Interviennent à ce stade la vitesse de propagation du produit, sa dispersion, son orientation, compte tenu de la distance qui sépare l’engin de l’objectif. La pulvérisation et les appareils de traitement ont fait de sérieux progrès tendant à rendre plus rapides, plus efficaces et moins pénibles les interventions nécessitées par la protection du vignoble, tout en réduisant le volume des produits épandus dans des proportions considérables. La mise en œuvre des pulvérisateurs se fait par divers moyens. L’appareil à dos est excellent et toujours employé, le plus souvent sous forme d’atomiseur ; il est surtout utilisé pour les petites parcelles, par les exploitants dont le travail à la vigne n’est qu’une activité secondaire. Plus généralement, les traitements se font avec le tracteur-enjambeur, équipé soit d’un pulvérisateur à jet projeté ou porté, ou pneumatique, soit d’un canon à buse orientable.

5. TRAITEMENT PAR HÉLICOPTÈRE

L’hélicoptère est un important moyen de traitement. Il a commencé à être utilisé pour la vigne champenoise au début des années 1960 et il est considéré comme un outil de travail précieux. Parfaitement efficace contre le mildiou, il n’est cependant pas universel et des compléments de traitement doivent en général être faits au tracteur contre d’autres parasites. Néanmoins, à prix de revient sensiblement égal et sans investissement de matériel, l’hélicoptère a l’avantage de faire un travail très rapide ; en outre, il peut intervenir en prévention des maladies cryptogamiques immédiatement après la pluie, alors que le tracteur-enjambeur ne pourrait le faire sans risquer un tassement du sol néfaste aux racines de l’interligne. C’est, de surcroît, à l’hélicoptère que beaucoup de veuves et personnes âgées doivent de pouvoir continuer à travailler leur vigne.
En Champagne, les hélicoptères sont mis en œuvre par les coopératives d’approvisionnement ; les vignerons qui le désirent peuvent en utiliser les services par un système d’abonnement. En 1980, un septième du vignoble était traité par hélicoptère, soit 3 500 hectares, contre 600 en 1964. Compte tenu du très grand morcellement, les parcelles à traiter par hélicoptère sont imbriquées avec celles dont les exploitants n’en souhaitent pas l’intervention. Il en résulte la nécessité de matérialiser sur le sol un plan de vol pour le pilote, avec des balises triangulaires rouges et jaunes et des panneaux portant des numéros d’ordre. Les pilotes sont très adroits, mais ils effectuent à très basse altitude un travail de précision qui n’est pas sans danger.

6. LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR ET DE L’ENVIRONNEMENT

À voir le nombre de traitements effectués dans le vignoble, que ce soit contre les mauvaises herbes ou les parasites, on peut à bon droit se demander s’il n’en résulte pas un danger pour l’environnement et pour la santé du consommateur de champagne. À priori, le problème est moins grave pour la viticulture que pour la plupart des autres activités agricoles car si les produits utilisés dans les vignes se retrouvent dans les moûts, ce qui est exceptionnel, ils sont transformés par la fermentation, ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour les antibiotiques des produits laitiers ou les antigermes de la pomme de terre. On doit noter également qu’en Champagne, on l’a déjà constaté pour les engrais, les produits sont employés raisonnablement, sans excès, la règle étant qu’il faut donner à la vigne le nécessaire et le suffisant et proscrire rigoureusement tout ce qui pourrait porter atteinte à la santé de l’homme ou remettre en cause l’équilibre biologique. Chaque fois que c’est possible, en fonction du résultat des recherches qui sont faites à ce sujet, on réduit la dose des produits de traitement.
Néanmoins, les contrôles de toxicité sont un souci permanent des services officiels nationaux et locaux, en application d’une législation dont il est dit qu’en la matière elle est la plus sévère du monde.
Aucun produit phytopharmaceutique ou désherbant ne peut être utilisé s’il n’a reçu au préalable du ministère de l’Agriculture une autorisation d’emploi, l’homologation. Celle-ci n’est donnée qu’après des recherches et expérimentations extrêmement poussées, très onéreuses, effectuées durant plusieurs années. Un produit n’est autorisé que lorsqu’il est prouvé qu’il a une innocuité convenable vis-à-vis de la vigne, sans aucun risque d’emploi pour l’utilisateur ni pour le consommateur du fait des résidus pouvant subsister au moment de la récolte et conserver exceptionnellement une action nocive après vinification. En général, l’emploi des produits n’est plus autorisé dans les dernières semaines précédant la date envisagée pour le début des vendanges.
Tous les renseignements utiles sur les produits homologués, qui encore une fois sont les seuls que l’on trouve dans le commerce, sont donnés aux vignerons par les notices d’emploi des fabricants et par les services techniques des organismes professionnels et interprofessionnels, notamment par le moyen du Vigneron champenois. Des conseils de modération sont donnés en ce qui concerne les doses à utiliser et ils sont suivis d’autant mieux que le prix des produits a en lui-même un effet de dissuasion. En outre, il paraît chaque année un Index phytosanitaire décrivant toutes les matières actives homologuées (en 1980, il en comportait près de 350), avec les précautions d’emploi et les répercussions possibles sur l’environnement. Il importe en effet de prévenir toute atteinte au gibier, aux poissons, aux abeilles, ce qui peut arriver avec un emploi abusif de pesticides, comme ce fut le cas dans les années 1970 lorsque la jolie rivière de Sainte-Berthe, la Livre, fut privée de ses poissons par les produits qui y furent déversés imprudemment. Par contre certaines usines situées au voisinage des vignes sont pour elles une menace de pollution, d’ailleurs surveillée par les services techniques du C.I.V.C. qui effectuent de nombreux contrôles dans les zones intéressées. Les hormones de synthèse utilisées pour la grande culture céréalière sont également dangereuses ; des arrêtés en interdisent l’emploi à proximité des vignes entre le débourrement et la vendange.
Dans l’ensemble, la viticulture est sainement conduite en Champagne ; c’est heureux, car le vin du bonheur ne saurait faire le malheur des animaux, des apiculteurs et des pêcheurs. Il existe cependant deux menaces. L’une, dont on a déjà parlé, est la conséquence du désherbage chimique pratiqué en non-culture, l’autre est liée au pressurage, qui produit en grande quantité des déchets organiques, bourbes et lies susceptibles de polluer les eaux. Les professionnels en prennent de plus en plus conscience grâce aux efforts de vulgarisation des services intéressés, qui font procéder d’autre part au traitement des eaux usées en coopération avec l’Agence financière de bassin Seine-Normandie compétente pour la Champagne. D’une manière générale, on peut faire pleine confiance à la viticulture champenoise pour le sérieux et l’efficacité avec lesquels elle traite les problèmes de pollution que peut poser la culture de la vigne.

Notes

[1FIÉVET (Victor). Histoire de la ville d’Épernay, depuis sa fondation jusqu’à nos jours. Épernay, 1868.

[2HOLLANDE (Maurice). Connaissance du Vin de Champagne. Paris, 195