UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les plantations

1. ÉPOQUE DE LA PLANTATION

En théorie, on dispose pour planter de toute la période du repos végétatif de la vigne, mais il y a intérêt à ce que celle-ci s’enracine le plus tôt possible au printemps afin de mieux supporter les sécheresses de l’été. Les plantations s’effectuent parfois en novembre, avec des greffés-soudés-racinés sortant directement de pépinière, mais c’est l’exception, car le climat septentrional de la Champagne rend l’opération hasardeuse. En général, on plante à la fin de l’hiver ou au printemps, dès que le sol est suffisamment ressuyé et avant la montée de la sève.

2. PRÉPARATION DU TERRAIN

La mise en place de la jeune vigne doit se faire dans un sol sain, ameubli, enrichi en matières organiques et en éléments fertilisants, ce qui suppose une période de repos du terrain, ainsi qu’une préparation appropriée de celui-ci, qu’il ait ou non porté de la vigne auparavant. La première opération consiste à enlever les souches des vieilles vignes, s’il s’agit d’une plantation après arrachage, ce qui se fait généralement en deux temps : on coupe d’abord les charpentes à la main, à la cisaille ou à la scie mécanique, puis avec de puissants engins on extirpe les souches.
Ensuite, on procède au défoncement, qui est un labour profond ayant pour but d’extraire le maximum de racines, s’il y a lieu, et d’ameublir et aérer le sol, favorisant ainsi les phénomènes biologiques et chimiques, l’emmagasinement des eaux pluviales et l’installation des systèmes radiculaires des plantations à venir. Le défoncement peut aller jusqu’au nivellement du sous-sol, débarrassé provisoirement de sa terre arable, et parfois jusqu’au remodèlement de son profil dans le but d’améliorer les conditions de culture. Il faut cependant prendre garde de ne pas porter atteinte au caractère spécifique du cru, auquel est lié celui du vin qui en provient. Le vigneron exécute ces travaux avec des charrues puissantes, des houes rotatives (rotavators) et autres engins ; il fait souvent appel à des entreprises spécialisées.
Le repos du terrain est indispensable. Il permet de régénérer le sol et d’être assuré que, lors de la plantation, les débris racinés porteurs de phylloxera et du virus de la dégénérescence infectieuse seront bien morts. Pendant longtemps un repos de deux années était considéré comme un minimum, pouvant être prolongé jusqu’à cinq, six et même dix ans pour un terrain ayant porté une vigne malade. On le mettait souvent à profit pour y cultiver des céréales et graminées apportant de l’humus et de l’azote mais, les inconvénients semblant supérieurs aux avantages, cette pratique a été à peu près abandonnée. Il reste qu’un long repos était très onéreux puisque c’était du temps perdu pour la production. Désormais la désinfection des sols, dont les premiers essais remontent en Champagne à 1958, permet de raccourcir la période de repos à dix-huit mois, et même moins si on plante en pot, un délai de trente mois étant cependant nécessaire pour des terrains très contaminés. La désinfection se fait en incorporant au sol des produits volatils qui assurent sa stérilisation biologique. Ils lui sont apportés au moyen de pals-injecteurs à main ou de tracteurs munis de dispositifs appropriés. Pour limiter les pertes par évaporation, le sol est ensuite tassé par un léger roulage. Le printemps et la fin de l’été sont les périodes les plus favorables pour une bonne diffusion du produit, qui se fait mal par temps trop froid ou trop chaud.
Les plantations sont précédées d’analyses du sol permettant de déterminer quel est le porte-greffe qui convient le mieux et les corrections qu’il y aurait lieu de faire à la nature du sol. De la terre est apportée en conséquence, souvent en très grande quantité. On y ajoute parfois de la craie, et c’est un aspect caractéristique du vignoble champenois que les gros tas de terre foncée, pouvant alterner avec des tas d’une blancheur immaculée, disposés en quinconce sur la plate-forme du sol à rajeunir, ou du sous-sol s’il a été mis à nu. On complète par une fumure de fond, organique et minérale, ayant pour d’assurer une bonne alimentation de la jeune vigne pendant la période d’enracinement et dosée selon les besoins du sol.

3. EXÉCUTION DE LA PLANTATION

Le terrain étant préparé, on profite des derniers froids de l’hiver, de l’action ameublissante du gel, pour exécuter un labour superficiel. Puis on le nivelle et on effectue le tracé de la plantation. Les rangées de plants sont en principe disposées selon le sens de la plus grande pente, afin de permettre l’écoulement des eaux, les interlignes (espaces séparant deux rangs) formant gouttière. On effectue généralement un tracé, mais depuis le début des années 1980 on commence à planter sans tracé préalable, avec une machine guidée au laser. On respecte les espacements maxima réglementaires qui ont été fixés, on peut le rappeler à 1,50 m entre les rangs et à 1,50 m entre les souches (minimum 90 cm), la somme de l’écartement et de la distance devant être inférieure à 2,50 m. Dans la pratique, l’ordre de grandeur de l’espacement est le plus souvent de 1 m à 1,10 m entre les rangs et de 1 m à 1,20 m entre les souches, parfois 1,50 m, ce qui donne de 7 500 à 9 000 pieds de vigne à l’hectare pour les choix les plus fréquents.
Cette densité résulte du meilleur compromis possible dans la recherche de la qualité et de la quantité, le nombre plus ou moins élevé de plants à l’hectare agissant sur la puissance des souches par le volume du sol alloué à chacune d’elles pour le développement de ses racines. Quant à la largeur des interlignes, elle convient au tracteur-enjambeur qui a été conçu en fonction de ses données numériques, et dont l’utilisation, d’autre part, est facilitée par l’orientation indiquée ci-dessus pour le tracé des rangs. Cet engin a en effet un centre de gravité relativement élevé qui peut l’amener à basculer les terrains en dévers ; malgré les précautions prises, au cours de ses manœuvres on a parfois à déplorer des accidents graves.
On effectue le piquetage de la plantation en enfonçant des échalas qui tout en marquant l’emplacement des plants, leur serviront de tuteur pendant les premières années de leur croissance. Avec un sécateur on raccourcit la pousse et les racines, c’est l’habillage des plants. Ceux-ci sont ensuite mis en terre à la main, à la cheville, c’est-à-dire avec un plantoir comme on le pratique pour les plantes de jardin, ou au trou, après que celui-ci a été creusé à la bêche ou foré mécaniquement, la première méthode étant plus rapide mais moins sûre en ce qui concerne la reprise de la plante. À la fin des années 1970, on a commencé à utiliser la planteuse à vigne tractée, qui fait le trou, puis met le plant, l’arrose, charge et tasse la terre. On peut dérouler sur le sol un ruban de polyéthylène de 1 mètre de large, généralement de couleur noire, qui favorise le développement du plant tout en économisant la main-d’œuvre dans les premières années de son existence. C’est la technique du paillage plastique, utilisée couramment dans les pépinières et qui se répand lentement pour les plantations en pleine terre. Une fois en place, le plant est le plus souvent muni d’une protection contre les rongeurs, qui consiste en un grillage cylindrique, généralement d’une couleur bleue quelque peu insolite dans le paysage verdoyant des vignes.

4. LES PREMIÈRES ANNÉES DE LA VIGNE

Le plant va prendre de l’âge dès sa mise en terre. On a en effet adopté un calendrier des feuilles de la vigne qui s’applique comme suit à celle qui a été plantée au printemps. On compte la 1ère feuille en octobre de l’année de plantation À (c’est la 1ère année), la 2ème feuille en octobre de l’année À + 1 (c’est la 2ème année), et ainsi de suite.
Au début de leur croissance, les jeunes plants sont exposés à des risques variés : sécheresse, concurrence des mauvaises herbes, insectes, maladies cryptogamiques. Ils sont donc l’objet de soins minutieux, binages et labours, traitements antiparasites, etc. ; au seuil de l’hiver, on effectue des buttages à la main pour protéger la soudure qui se trouve placée au niveau du sol et qui est très sensible au gel. James de Coquet a écrit dans le Figaro Magazine du 25 novembre 1978 : Il existe une parenté entre la vigne et la femme ; toutes les deux exigent des soins constants. Mais la jeune vigne a la fragilité d’un enfant, il faut s’en occuper tout spécialement. En outre, durant la première année on renouvelle le sevrage déjà exécuté une première fois en pépinière, et au cours de la deuxième année on taille, on apporte de la fumure et on palisse le plant sur le tuteur. C’est également pendant la seconde année que l’on remplace les sujets qui n’ont pas repris, les manquants, ce qui s’appelle parfois relarder.
C’est généralement dans la troisième année que le plant subit sa taille de formation et est attaché aux fils de fer.
À cet effet, on plante en bout de rang des piquets de tête, solidement car ils doivent résister à la tension des fils de palissage et au poids de la végétation qui y prend appui. Sur toute la longueur du rang on enfonce des piquets intermédiaires à raison de 1 pour 4 ou 5 souches. On dispose sur les piquets, de bas en haut, un fil de charpente, fixe, qui servira à attacher le cep, et deux fils releveurs, mobiles et parallèles, qui encadreront la végétation dans son développement (dans la taille en Chablis, le fil inférieur est remplacé par deux fils fixes superposés à une quinzaine de centimètres d’intervalle). Les piquets, d’une hauteur de 1,30m à 1,60m, sont en général en fer, mais aussi, notamment dans l’Aisne et dans l’Aube, en bois de châtaignier, d’acacia ou de pin noir. Depuis la fin des années 1970, on commence à utiliser des piquets en matière plastique. Les fils de fer, ou fils à vignes, sont en acier galvanisé ou inoxydable.

À sa troisième année, le plant entre dans la phase productive et fait l’objet de la première déclaration de récolte à l’Administration. Ce n’est parfois cependant qu’à la quatrième ou à la cinquième année, selon les conditions locales, qu’il sera en pleine production.

5. COÛT DE LA PLANTATION

La plantation est un investissement foncier indispensable mais très lourd. Il a fallu produire ou acheter les plants, jusqu’à 9 000 à l’hectare, acheter le matériel d’installation, échalas, piquets, fil de fer, amarres, crochets, acheter et transporter la terre d’apport et la fumure, acheter les produits de désinfection et de traitement, mettre en œuvre ou louer les engins pour l’arrachage, le défoncement, la désinfection, les labours, les traitements, et payer la main-d’œuvre pour ces travaux ainsi que pour le piquetage, l’installation et l’entretien. En 1980, on pouvait chiffrer à près de 200 000 francs (71 800 euros 2004) par hectare, toutes taxes comprises, le coût de la plantation d’une nouvelle vigne qui n’entrera en production que six ans en moyenne après que la vigne qu’elle remplace aura été arrachée.