UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

La vigne et les vins de Champagne du XVIIe siècle

Le premier tiers du XVIIe siècle est relativement paisible en Champagne, où l’on ne déplore que quelques désordres survenus dans la partie orientale, entre 1614 et 1616, du fait des intrigues de Charles de Gonzague, gouverneur de la province, uni au Prince de Condé et aux ducs de Mayenne et de Bouillon pour s’opposer à la régente Marie de Médicis. Mais dès 1630, les opérations déterminées par l’intervention française dans la guerre de Trente Ans et les intrigues du duc de Lorraine [1] transforment la Champagne en un vaste camp militaire [2]. L’Espagne est maîtresse des places du Nord de la France et c’est dans les plaines champenoises que les armées séjournent. Si la région du vignoble ne connaît pas les combats, elle a néanmoins à souffrir des réquisitions et pillages des troupes de Louis XIII jusqu’à la victoire de Rocroi, remportée en 1643 par le Grand Condé. Et ce n’est qu’un prélude à la terrible misère dont la Fronde sera responsable en Champagne, de 1648 à 1657. Les Espagnols des Pays-Bas se sont alliés aux Frondeurs. Pour s’opposer à la menace qu’ils font peser sur l’Est de la France, Condé envoie en Champagne, en 1649, les troupes du baron d’Erlach, gentilhomme suisse. Ce sont en fait des aventuriers allemands, polonais, suédois, qui vont tenir la Champagne en coupe réglée pendant deux années, y laissant un horrible souvenir. Ils accumulent les crimes, pillages, sacrilèges, viols, ainsi que le relate un pamphlet du temps, intitulé La Champagne désolée par l’armée d’Erlach, dont la lecture est insoutenable. Oudard Coquault, bourgeois de Reims, écrit dans ses Mémoires qu’en mai 1649 ceux de la montagne depuis Rilly jusqu’à Villers-Marmery tiennent les bois, et qu’en mai juin de la même année, du 12 du passé jusques au l0 juing, ung colonel allemand, nommé Binet, ravage la rivière de Marne. Le lieu de retraicte est Ay, desquels oultre les rançons particulières des habitans, qui deux, qui trois pistolles ou plus, ont exigé pour en sortir onze mil livres... Cette brigade tient tous les vilages des environs en crainte, et personne ne s’expose aux champz ou il est volé.

Aux soudards d’Erlach [3] succèdent en 1651, dans la vallée de la Marne, en aval d’Épernay, des brigands commandés par un ouvrier couvreur, Charles Oudard, dit Mâchefer. En avril 1652, Charles VI, duc de Lorraine, écume la Champagne avec des bandes de mercenaires, au nombre de 20 000, tirant rançon de tous ceux qu’ils arrêtent. Coquault écrit encore : Les villages sont déserts et desmoliz : voilà les fatalz effectz des guerres. Et il raconte ailleurs que revenant d’Hautvillers, il est surpris par un parti de Lorrains, volé et rançonné, et qu’à Chenay son vigneron est tué. Puis tour à tour Condé, et Turenne son adversaire, guerroient en Champagne, leurs troupes ne ménageant pas plus les habitants que celles de leurs prédécesseurs. Coquault note que les soldats de Turenne ont bu ou dissipé dans le seul lieu d’Hautvillers plus de 600 pièces de vin [4] ... ce ne sont des chiens que le roy envoie pour garder son troupeau, mais des loups.

En 1659, la Paix des Pyrénées apporte enfin à la Champagne le soulagement qui lui était si nécessaire après les trente années les plus sombres de son histoire, alors que cinq ans auparavant, le 7 juin 1654, Louis XIV, âgé de 16 ans, avait été sacré à Reims. Coquault peut enfin écrire : Nous voilà par la paix, par l’abundance, en repos. La campagne, plus encore que les villes, avait subi le lot habituel des malheurs de la guerre, destructions de villages et de récoltes, épidémies, famine. En 1648, le premier président Molé, dans des Remontrances à la Reine, avait affirmé que la campagne n’était déjà plus qu’un désert. La culture de la vigne, le transport des vins, se faisaient au prix de difficultés innombrables et constantes. Coquault raconte que le 24 septembre 1650,l’armée du maréchal de Praslin est en la plaine des Mesneux et Sacy, qui vendangent et font dégast en nos vignes, et que le 11 octobre de la même année l’armée repasse à Sillery, qui va piller et fourrager le reste qu’ils trouvent à Villers Allerant, de sorte que ung peu de vendanges, ce qu’ils n’ont peu manger, cesse tout à faict.Comme au XVIe siècle, en fait comme toujours en pareilles circonstances, certains en avaient tiré cependant bénéfice. L’armée de Flandre avait acheté de telles quantités de vins que les prix avaient monté pour la plus grande satisfaction des marchands [5].

Malgré la paix, le logement des gens de guerre continue jusqu’à la fin du siècle, en raison des campagnes extérieures de Louis XIV. Les inconvénients qui en résultent, l’accroissement constant des impôts, la cherté de la vie, s’ajoutent aux misères accumulées pendant les guerres de religion, la guerre de Trente Ans et la Fronde. Dans les dernières années du XVIIe siècle, la condition du vigneron champenois est déplorable. On connaît le terrible texte de La Bruyère, écrit en 1689 : L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible... Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines [6]. Et le même La Bruyère dit un peu plus loin : Le destin du vigneron, du soldat et du tailleur de pierre m’empêche de m’estimer malheureux par la fortune des princes ou des ministres qui me manque.

Il est cependant difficile de se faire une idée exacte de la condition du vigneron, on l’a déjà vu à propos des conséquences de la guerre de Cent Ans. Dans l’ensemble, les paysans sont certes malheureux, mais diversement. Le vigneron, malgré ce qu’en pensait La Bruyère, est relativement privilégié car la vigne est à l’époque d’un meilleur rapport que la terre de labour. Il n’est pas rare qu’elle lui appartienne. Il a en outre quelques têtes de bétail et il loue ses services et sa compétence aux citadins et aux cultivateurs propriétaires de vignobles, à un salaire convenable [7]. Celui qui ne possède pas de terre à vigne est fermier ou métayer, selon des modalités désormais bien définies.

On peut donc penser que seuls ont connu la misère, aux XVIe et XVIIe siècles, les vignerons des régions qui se sont trouvées, à un moment ou à un autre, directement intéressées par les opérations militaires ou leurs arrières, et, dans ce dernier cas, pour les seules périodes, parfois très longues il faut bien le dire, de passage ou de stationnement des troupes. C’est ainsi que ceux de la Basse-Champagne (partie méridionale de la province de Champagne, avec Troyes, Bar-sur-Seine, Bar-sur-Aub, Sézanne), plus épargnés de ce point de vue, ont certainement mieux traversé ces périodes difficiles que ceux de la vallée de la Marne et de la Haute-Champagne, entre Marne et Aisne.

La fortune du vignoble va de pair avec celle du vigneron. Dans les périodes troublées les superficies diminuent ; dès que le calme revient, les plantations compensent les pertes, tout au moins dans les bons vignobles. On note aussi quelques mesures restrictives prises par le gouvernement ou l’autorité provinciale lorsqu’il apparaît nécessaire de favoriser l’élevage et la culture des céréales. En 1552, ordre est donné d’arracher des vignes [8] ; en 1566, il est prescrit que dans chaque canton au maximum un tiers des terres peut être planté en vignes [9]. Dans l’ensemble, la province de Champagne a vu régresser légèrement son vignoble depuis le XVe siècle.

À la fin du XVIIe siècle, les cépages y sont nombreux et nous connaissons les principaux par les écrits du temps. Parmi ceux donnant des raisins blancs, on rencontre essentiellement le Morillon (ou Maurillon) blanc [10], aussi appelé Maubard ou Mauribard, le Gouest (ou Gouais) blanc, le Meslier et, dans l’Aube, le Chasselas doré (ou Bar-sur-Aube blanc) et l’Arbanne. Pour les raisins noirs, on fait surtout appel au Morillon noir [11] et au Morillon taconné [12], mais aussi au Morillon hâtif, dit de la Magdeleine, et au médiocre Gouest noir. Jean Merlet précise que le Morillon hâtif... est plus curieux que bon... et fort sujet aux Mouches, que le Morillon noir ordinaire... fait de meilleur vin et que le Morillon taconné... est meilleur que le plus hâtif et est excellent à faire du vin, charge beaucoup, et la feuille est blanche et farineuse  [13]. On trouve enfin un cépage donnant des raisins d’une teinte intermédiaire, avec lesquels on fait à l’époque des vins pouvant aller du blanc au rouge, selon l’intensité de la cuvaison et du pressurage : c’est le Fromenteau ou Frumenteau ou Fromenté, appelé ailleurs Griset, Enfumé, Avernas gris d’Orléans, Burot, etc., et dont Nicolas Bidet, officier de la Maison du Roy, dira au XVIIIe siècle qu’il est un raisin très exquis et fort connu en Champagne  [14], Liger précisant dans La Nouvelle Maison rustique qu’il est d’un gris rouge, et ajoutant : La grappe en est assez grosse, grain fort serré, la peau dure, le suc excellent et fait le meilleur vin c’est à ce raisin que le vin de Sillery si vanté doit son mérite et son renom. Certains cépages existent depuis longtemps dans la province, comme le Morillon et le Gouest, cités par Eustache Deschamps dans ses poèmes. D’autres ont probablement été importés de Bourgogne depuis le XVe siècle [15].

Tant au XVIe siècle qu’au début du XVIIe on trouve indifféremment en Champagne, dans un même terroir des vins blancs, peu estimés, et des vins rouges. Ces derniers l’emportent largement en volume global et sont naturellement peu teintés, fort clairets tirant sur le pasle [16]. L’adjectif clairet ou cleret qualifie bien un vin rouge et non pas un vin blanc comme certains auteurs l’ont cru par erreur. Il est en usage dans toute la France et c’est de là que vient le substantif anglais claret, synonyme de vin de Bordeaux. Il s’applique au vin rouge peu coloré [17], appel aussi vin paillé [18], ou vin d’œil-de-perdrix [19], celui de Georges de La Tour, dans Le Tricheur à l’as de carreau, Chardin, dans La Table, et Lancret, dans Les Rémois, se sont plus à peindre la teinte lumineuse. On précisera, au début du XVIIIe siècle, que dans les siècles passés on n’étoit dans l’usage de ne faire dans ce pays cy que des vins soit disant rouges, c’est-à-dire œil-de-perdrix [20]. Il s’agissait donc d’une couleur intermédiaire entre le rosé et le rouge, qu’Olivier de Serres identifiait à une couleur de rubi-oriental. Vers la fin du XVIIIe siècle, œil-de-perdrix se rapproche du rose et selon le Dictionnaire de l’Académie, édition de 1798, se dit du vin qui a une légère teinte de rouge. Cette coloration faible et aléatoire place les vins rouges de Champagne en mauvaise position par rapport aux vins de Beaune, d’une teinte plus soutenue correspondant mieux au goût du temps et, pour cette raison, plus faciles à commercialiser. Si bien qu’il est de pratique courante en Champagne de renforcer la couleur des clairets.

On aimerait pouvoir affirmer qu’à l’époque on ne produisait en Champagne que les bons vins que l’on trouve dans Les Rémois, conte de La Fontaine, enfant du pays : Il n’est cité que je préfère à Reims : / C’est l’ornement l’honneur de la France,/ Car, sans compter l’ampoule et les bons vins,/ Charmants objets y sont en abondance  [21]. Malheureusement, s’il leur arrivait d’être excellents, ils l’étaient rarement ; les écrits des vignerons et marchands nous laissent peu d’illusions à cet égard. On a vu combien le vignoble avait souffert pendant deux siècles. Aux malheurs de la guerre s’ajoutaient ceux dont étaient responsables les caprices de la nature. Dans son Journalier, Jean Pussot fait état de nombreuses années de gel ou de sécheresse parfois consécutives. En 1570, furent les vignes des bas lieux fort bruslé et n’estoient les vins d’icelles guères bons ; en 1587, il ne fut guère de vin et fort petitz, en 1588, fut peu de vin et moyen en bonté. Bien des autres années citées ne donnent pas de meilleur résultat ; il apparaît qu’une année sur deux le vin est soit de qualité mauvaise, soit en quantité insuffisante, parfois l’un et l’autre. Il est vrai que cela n’empêche pas certains producteurs de fournir d’excellents vins, jouissant, on l’a vu, d’une bonne réputation, mais sans toutefois pouvoir assurer la régularité de la qualité.

On lit dans L’Art de bien traiter, Ouvrage nouveau, curieux, et fort galant, que les vins de Bourgogne et de Champagne sont bons quand les années sont bonnes, et principalement le Champenois quand il n’a point ce grand verd dont quelques débauchés font tant d’estime, quand il s’esclaircit promptement, qu’il ne travaille qu’autant que la force de son vin le permet naturellement, car il ne faut pas tant se fier à cette maniere de vin qui est toûjours en furie et qui bouillonne sans cesse dans son vaisseau, Pasques passe c’en est fait, si plus il s’en faut donner de garde, souvent après tant d’orages et d’émotions reiterées, il se résout : À quoy ? à rien, et ne retient de tout son feu, qu’un verd cru fort déplaisant et fort indigeste, qui incommode la poitrine d’une estrange façon [22]. À noter que certains ont cru voir là la description d’un vin mousseux alors qu’il s’agit seulement d’un vin en cours de fermentation en tonneau, au demeurant mis sur le même plan que le bourgogne. L’ouvrage dont ce texte est tiré a d’ailleurs été écrit une vingtaine d’années avant l’apparition en France de la mousse des vins de Champagne.

On peut lire dans un traité de 1718 que les Champenois,soit délicatesse de goût, soit envie de profiter davantage sur les Vins, soit facilité à les rendre meilleurs, ont été dans tous les temps fort industrieux à les faire plus exquis que dans les autres provinces du roïaume. Mais ce traité, intitulé Manière de cultiver la vigne et de faire le Vin en Champagne, non signé, est l’œuvre du chanoine rémois Jean Godinot, dont on peut penser l’opinion influencée par l’amour de sa province et, en tout état de cause, valable seulement pour un volume limité de vins de qualité. En réalité, beaucoup de vignerons vendent d’assez mauvais vins, par routine et incurie, ou pour tenter de s’assurer un bénéfice bien aléatoire par la recherche de la quantité, obtenue au détriment de la qualité.

Toujours est-il qu’en Champagne la vigne est cultivée, et le vin élaboré, selon des procédés comparables à ceux en usage dans le reste de la France, avec des résultats analogues et sans véritable originalité. Or voici qu’apparaît une nouveauté technique qui va fortement influer sur l’évolution des vins de la province, leur donner le pas sur ceux des autres régions viticoles et ouvrir la voie au champagne effervescent. Ayant de la peine à concurrencer les Bourguignons sur le chapitre des vins rouges, les Champenois trouvent le moyen d’utiliser leurs raisins noirs pour faire des vins blancs, très supérieurs en qualité à ceux qu’ils avaient l’habitude de produire avec leurs raisins blancs et qui n’avaient jamais été très appréciés. Au XVIIIe siècle encore, dans Le Spectacle de la nature, excellent ouvrage paru sans nom d’auteur mais de la plume de l’abbé Pluche, on lira : Le raisin blanc ne donne à la vérité qu’un vin blanc, qui n’a communément ni force, ni qualité, qui jaunit promptement, et tombe dès avant l’été.

Faire du vin blanc avec des raisins noirs est possible car si la peau du raisin est noire, sa pulpe ne l’est pas. Il faut donc, pour empêcher la pellicule de tacher le jus, vendanger avec précaution, s’abstenir de fouler et de laisser macérer le raisin comme on l’avait toujours fait pour le vin blanc aussi bien que pour le vin rouge [23], adopter une technique de pressurage appropriée au résultat cherché. On obtient ainsi un vin blanc, appelé vin gris [24] pour le distinguer de celui fait avec les raisins blancs, ce vin gris, qui a l’œil si vif, et qui est d’une blancheur et d’un éclat qui imitent le cristal, et qui provient des raisins les plus noirs [25]. Il va avoir un succès prodigieux, à telle enseigne qu’en d’autres provinces de France on essaie de faire de même, notamment en Bordelais [26] ; mais on peut penser que les résultats ne seront pas aussi bons qu’en Champagne, car Béguillet écrira en 1770 qu’à l’exception de la Champagne, tous les vins blancs qui se font ailleurs, se font de raisins blancs [27].

Avant toute chose, les grappes destinées au vin gris font l’objet d’attentions particulières. On sélectionne les plants de manière à avoir des raisins de petite taille, et on supprime les ceps de raisins blancs qui, sur les conseils d’Olivier de Serres, panachaient les vignes noires. Afin qu’un Vin soit exquis, écrit le chanoine Godinot, il faut que les ceps soient bien choisis, et qu’ils ne fassent généralement que de petits raisins noirs. Afin que le Vin soit plus fin, il faut ôter tous les ceps qui donnent des raisins blancs et ceux qui donnent des raisins noirs grossiers [28]. Dans les meilleurs crus on taille court, dans un souci de recherche de la qualité qui est déjà la marque de la viticulture champenoise. On cultive en Champagne deux sortes de vignes, qu’on appelle les vignes hautes et les vignes basses. Les vignes hautes sont celles qu’on laisse croître dans les lieux moins fins et qui ont quatre à cinq pieds de haut ; Les vignes basses sont celles qu’on ne laisse élever qu’à la hauteur de trois pieds. Les vignes hautes produisent beaucoup et donnent souvent sept ou huit pièces de Vin commun par arpent ; les vignes basses produisent peu, mais le Vin est bien plus délicat, elles ne donnent souvent que deux pièces de Vin par arpent, quelquefois moins, rarement quatre.

La vendange de ces précieuses grappes se fait selon des modalités qui constituent une véritable innovation. Tout est mis en œuvre pour les recueillir intactes, à l’abri de la chaleur, et les conserver ainsi jusqu’au pressoir, car toute meurtrissure, tout début anticipé de fermentation, aurait pour effet de colorer le jus. On choisit pour ce faire les jours de vendanges appropriés et, dans chaque journée, le moment favorable.

Le chanoine Godinot est explicite : Il faut tâcher de ne vendanger que les jours qu’il y a bien de la rosée ; et dans les années chaudes, après une petite pluye, quand on est assez heureux pour l’avoir. Cette rosée donne aux raisins une fleur en dehors, qu’on appelle azur, et au dedans une fraîcheur, qui fait qu’ils n’échauffent pas facilement, et que le Vin n’est pas coloré. On commence à vendanger une demi-heure après le lever du Soleil ; et si le Soleil est sans nuage, et qu’il soit un peu ardent sur les neuf ou dix heures, on cesse de vendanger. Si le temps se couvre, on peut vendanger toute la journée, parce que tout le raisin se conserve dans sa fraîcheur. Dans les années humides, il faut bien prendre garde de ne pas mettre dans les hôtes aucun raisin gâté ; et dans tous les tems, il faut être attentif à couper les grains pourris, ou écrasez, ou tout-à fait secs ; mais il ne faut jamais degraper les raisins

Pour prendre conscience du luxe de précautions apporté aux vendanges, rien ne vaut la lecture du Spectacle de la nature :
Les vendangeuses entrent de grand matin dans la vigne, et font le choix des plus beaux raisins. Elles les couchent mollement dans leurs panniers, et les mettent encore plus doucement dans les hottes [29] pour être portés au pié de la vigne, où, sans les fouler le moins du monde, on les mèt dans de grands panniers, en leur conservant l’asur, et la rosée dont ils sont tout couverts. Le brouillard aussi bien que la rosée contribue beaucoup à la blancheur du vin. Si le soleil est un peu vif, on étend des nappes mouillées sur les panniers, parce que le raisin venant à s’échauffer, la liqueur en pourroit prendre une teinte de rouge. On charge ces panniers sur des animaux d’un naturel paisible qui les portent lentement et sans secousse jusqu’au cellier où le raisin demeure à couvert et fraîchement.

Tous les détails ont leur importance. Le chanoine Godinot précise que l’on coupe les raisins avec un petit couteau courbe, avec le plus de propreté, et le moins de queue que l’on peut , cette dernière prescription afin d’éviter que le bois de la grappe, que l’on appelle la rafle, ne donne au vin un goût désagréable. Maupin écrit que le suc de la rafle étant essentiellement grossier, terreux et dur, comme il l’est, il ne peut communiquer que de l’âpreté et de la rudesse aux vins qui en sont chargés  [30]. Et Bidet ajoute qu’il faut préférer les ciseaux aux serpettes, car ils n’ébranlent pas le cep et coupent plus aisément la queue du raisin près du fruit, ce qu’il est d’une extrême importance d’observer, parce que cette queue est amère et qu’à proportion de sa longueur, elle communique plus ou moins au vin un goût de grappe et de bois.

Il est évident que dans la perspective du vin gris, la vendange est une opération dont la parfaite réussite dépend de la plus grande célérité avec laquelle elle doit se faire, sans quoy la cuvée seroit tachée [31]. Il n’est pas pensable de précipiter la marche des animaux qui portent les raisins, puisqu’on leur demande avant tout d’être calmes. Bidet écrira que si les Mulets étoient aussi communs en Champagne que dans les pays montagneux, on tireroit un notable avantage dans le temps des vendanges : chacun sçait que cet animal porte son fardeau sans l’ébranler ni le fatiguer, ce qui l’a fait préférer aux Chevaux pour le transport des Litières, mais au défaut du Mulet, on doit préférer l’Ane au Cheval, cet animal étant plus paisible [32]. Il faut donc s’efforcer d’avoir les pressoirs à proximité des vignes, ainsi que le remarque le chanoine Godinot : Quand les pressoirs sont au prés des vignes, il est plus aisé d’empêcher que le Vin n’ait de la couleur, parce qu’on y porte doucement et proprement les raisins en peu de tems ; mais quand ils sont éloignés de deux ou trois lieuës, comme on est obligé de mettre la vendange dans les tonneaux... on ne peut guères éviter que le Vin ne soit coloré, excepté dans les années humides et froides.

Les pressoirs sont banaux, ou particuliers pour les propriétaires de vignobles importants. Il en existe de différents modèles, mais le plus répandu est le pressoir étiquet dont la vis, actionnée par une calandre extérieure, porte directement sur la surface de pression constituée par des madriers assemblés sur lesquels repose le mouton, lourde masse de fer ou de fonte, et ainsi appelé parce qu’à l’origine la vis était serrée à l’aide d’un bâton appelé étiquet. C’est celui qui répond le mieux aux obligations de ce nouveau mode de pressurage fondé, on l’a vu, sur le principe constant que le jus doit être extrait sans être coloré par la pellicule du raisin. Cela ne pose pas de problème au début de l’opération, mais au fur et à mesure de son déroulement, le moût se charge et se teinte de plus en plus. D’où l’idée de fractionner le pressurage, afin de recueillir des vins de différentes catégories de finesse et de couleur.

C’est ce que détaille fort bien le chanoine Godinot : La premiere fois qu’on abaisse ces grosses poutres sur les raisins, on appelle le Vin qui sort le Vin de goute [33] ; c’est ce qu’il y a de plus fin et de plus exquis dans le raisin ; ce Vin est trop delié, et n’a pas assez de corps : on nomme ce premier pressurage l’Abaissement. Il faut le faire avec beaucoup de dextérité et de vitesse, afin de relever d’abord les poutres, de remettre incessamment les raisins, qui ont coulez par les côtez tout au tour, sur le milieu, charger vite, et presser de même une deuxieme et troisieme fois. On appelle ces deux autres Abaissements de poutres la premiere et deuxieme taille [34], il faut qu’elles soient faites en moins d’une heure, si on veut que le vin soit bien blanc, parce qu’on ne donne pas le temps aux raisins de s’échaufer ni à la liqueur celuy de séjourner dans le marc.
On mêle ordinairement le Vin de l’Abaissement avec celuy de la premiere et de la deuxieme taille ; rarement avec celui de la troisieme, selon que les années sont plus ou moins chaudes : et c’est ce qu’on appelle une Cuvée de Vin fin. Il y a des gens habiles, qui prétendent qu’on ne doit mêler les Vins de l’Abaissemen qu’avec ceux de la premiere taille, parce qu’il est bien plus délicat que celui de la seconde et de la troisieme, et qu’on est d’ailleurs assez à tems à les mêler dans la suite, si on ne les trouve assez fins, et assez blancs.

Le chanoine Godinot précise plus loin que les abaissements ultérieurs donnent une quatrième taille que l’on appelle Vin de taille, de la couleur plus que celle qu’on nomme oeil-de-perdrix, fort de vin, gracieux coulant, bon pour un ordinaire, et trois autres tailles qui forment le Vin de pressoir, qui est très rouge, assez dur, mais propre pour la boisson de domestiques. Il explique que lorsqu’on n’est pas pressé, on met une bonne heure et demi d’intervalle entre chacunes de ces trois dernieres tailles, tant pour donner le tems au Vin de couler insensiblement, que pour laisser aux pressureurs celui de dormir, ou de se reposer, cette fatigue étant des plus rudes, puisqu’il faut la soûtenir jour et nuit pendant environ trois semaines.

On voit donc apparaître la notion de fractionnement entre des vins de cuvée et de taille, qui gouverne aujourd’hui encore le pressurage champenois.

Tout en mettant au point les procédés qui leur permettent d’obtenir un moût [35] parfaitement blanc, les Champenois s’attachent à améliorer les techniques de l’élaboration de leur vin gris. L’abbé Pluche dira péremptoirement : La lie [36] et l’air sont les deux pestes du vin et affirmera qu’en Champagne on transvase douze fois le vin dans des tonneaux parfaitement nets, afin de le débarrasser de sa lie. Pour faciliter les manipulations qu’entraînent ces opérations, les Champenois inventent un système de soutirage [37] par le moyen d’un soufflet et d’un boyau fait exprès ; on relie le tonneau plein au tonneau vide par le boyau, le vin du premier s’écoule dans le second en vertu du principe des vases communicants et le reliquat est chassé par le soufflet appliqué dans la bonde [38] du tonneau à transvaser [39]. Grâce à ce perfectionnement, les vins se conservent beaucoup plus longtemps. On lit, dans le Journal des Sçavans du 7 juin 1706, que depuis qu’on a trouvé le secret de tirer les Vins au clair, on meneroit les Vins de Champagne au bout du monde, qu’ils se conserveroient aussi long-temps que le Vin de Falerne [40].

L’abbé Pluche, en 1744, le confirmera par un vibrant témoignage : je n’ai rien vû nulle-part qui approchât des soins et des précautions que prennent les Champenois depuis environ cinquante ans. Leur vin étoit dès auparavant très-fin et très-estimé : mais il se soutenoit peu, et ne se transportoit pas loin. Par la manière qu’une longue expérience leur a suggéré, ils sont parvenus à l’affermir au point que, sans rien perdre de son agrément, il se soutient six et sept années, souvent beaucoup plus. Autrefois le vin d’Aï duroit à peine un an, mais depuis que les raisins blancs n’entrent plus dans le vin de Champagne, celui de la montagne de Reims dure huit et dix ans, et celui de la Marne va aisément à cinq et six. Les vins de Bourgogne ne tomberoient pas comme ils le font dès la troisième année, souvent dès la seconde, si on les façonnoit avec la même précaution.

Il reste toutefois que si le vin est alors bien fait, s’il se tient mieux, il court le risque de se détériorer dans les tonneaux, dont le bois ne lui offre pas une protection suffisante pour un long vieillissement ou des transports lointains. On trouve un remède à ces maux par l’emploi généralisé de la bouteille. Au début du XVIIe siècle celle-ci est fragile, et protégée par un clissage en osier ; elle n’est guère utilisée que pour aller de la cave à la table [41]. Mais vers 1670, on prend conscience en Champagne des avantages de l’étanchéité du verre pour la conservation du vin. On commence alors à le tirer [42] en bouteilles pansues, par petites quantités, en bouchant avec un broquelet que l’on fixe par une ficelle cerclant le goulot, le broquelet étant une cheville de bois garnie de filasse de chanvre, graissée avec du suif, de grosseur variable, utilisée pour boucher les bouteilles mais aussi pour fermer la bonde du tonneau. Et à partir de 1685, le perfectionnement du bouchage et l’emploi des bouchons d’Espagne [43] [44] vont généraliser la pratique de la mise en bouteilles pour une partie des meilleurs vins, en attendant que les verriers de l’Argonne, à l’imitation de ceux d’Angleterre, fabriquent à la fin du siècle un verre noir et épais, autorisant le transport des vins de Champagne en bouteilles pour toute destination, à telle enseigne que l’on peut lire dans le Journal des Sçavans du 7 juin 1706 qu’un voyageur moderne a dit en avoir bû à Siam, et à Surinam.

Les Champenois, grâce à leur ingéniosité, sont ainsi à l’origine d’une cascade d’innovations, mais dont il faut noter qu’elles sont toutes anonymes. Et voici que leurs vins bénéficient d’un nouveau perfectionnement, dû cette fois à une individualité de talent. Il s’agit de l’assemblage des raisins, tel que le pratique le cellérier de l’abbaye d’Hautvillers, Dom Pierre Pérignon. Situé sur une des pentes nord de la Marne d’Épernay, le cru d’Hautvillers n’est pas un nouveau venu en Champagne. On l’a vu cité dès le XIIIe siècle par le trouvère Henri d’Andeli. S’il ne semble pas avoir joui ensuite d’une réputation particulière parmi ses voisins de Rivière, on peut tenir pour certain que ses vins ont souvent été vendus sous les noms plus connus d’Ay, d’Épernay ou même de Reims. L’abbaye bénédictine d’Hautvillers a été établie vers 662 par Nivard, évêque de Reims, désireux de s’associer au renouveau spirituel dont Saint-Colomban venait de poser les fondements [45]. Dix siècles plus tard, le couvent poursuit son activité au service de Dieu et des hommes lorsque Dom Pérignon y arrive, en 1668, comme procureur. Il est doué d’une heureuse intelligence, d’un caractère charitable, entendu dans la direction des affaires, écrit un auteur anonyme du XIXe siècle [46], et René Gandilhon le dit assidu dans son travail, acharné et même tenace, avec un souci de perfection dans la recherche, allant de pair avec la simplicité et l’honnêteté dans les moyens [47].

Au nombre des attributions de Dom Pérignon figurent la direction des vignobles et la production des vins. Il exerce en effet les fonctions de cellérier de l’abbaye, et il les conservera jusqu’à sa mort, survenue en 1715, à l’âge de 76 ans [48]. Il s’en acquitte au mieux. Ayant reçu en compte 10 hectares de vignes assez mal tenues, il remettra à son successeur un domaine de 24 hectares, grandement amélioré sous le rapport de la qualité des terres et de leur état. Et pour donner à ses vins régularité et excellence, il reprend à son compte, en l’enrichissant d’une technique nouvelle, la notion de l’assemblage. Celui-ci était déjà pratiqué sous diverses formes. On a vu, à propos des vins gris, qu’il était courant de mélanger les vins provenant des différentes catégories de moûts obtenus au pressurage. C’était également une habitude chez les marchands de vins de faire des coupages ; Roger Dion [49] y voit même la cause de l’unification sous le vocable vins de Champagne des crus de la vallée de la Marne et de la Montagne de Reims. Mais il était moins fréquent de trouver des assemblages au stade des raisins. On avait bien l’habitude au XVIe siècle de panacher au vignoble plants de noirs et plants de blancs pour en réunir les grappes sur le pressoir ; mais on sait qu’à la fin du XVIIe siècle cette pratique était considérée comme néfaste. L’innovation de Dom Pérignon consiste, avant de les pressurer, à assortir systématiquement les raisins de diverses origines, et pas seulement d’une seule vigne, soit qu’ils aient été vendangés dans les différentes parties du domaine de l’abbaye, soit qu’ils proviennent des livraisons reçues par celle-ci au titre de la dîme qui lui est due par plusieurs villages des environs et qui est acquittée en vins, en raisins ou en espèces [50]. Dom Pérignon a ainsi à sa disposition un choix de raisins qu’il fait mélanger avec discernement sur les pressoirs que l’abbaye possède à Hautvillers, Champillon et Dizy, afin d’en harmoniser les qualités et d’en faire oublier les défauts.

C’est la connoissance du bon effèt que produisent les raisins de trois ou quatre vignes de différentes qualités, qui a porté à la perfection les fameux vins de Silleri, d’Aï, et d’ Hautvilliers. Aussi, faut-il convenir que tous les différents agrémens qui peuvent flatter la langue semblent s’y être réunis. Le Pere Pérignon, religieux Bénédictin d’Hautvilliers sur Marne, est le premier qui se soit appliqué avec succès à assortir ainsi les raisins de différentes vignes [51]. Tel est le témoignage de l’abbé Pluche, qui sera repris par Maupin dans sa Méthode.

Voici, d’après le frère Pierre, son élève, comment procédait Dom Pérignon : Le Père Pérignon ne goutoit pas les raisins aux vignes quoiqu’il y alloit presque tous les jours à l’aproche de la maturité, mais il se faisoit apporter des raisins des vignes qu’il destinoit à composer la premiere cuvée, il n’en faisoit la dégustation que le lendement matin à jeun, après les avoir fait passer la nuit à l’air sur sa fenestre, jugeant du gout selon les années, non seulement il composoit ses cuvées selon ce gout, mais encore selon la disposition du tems, des années précoces, tardives, froides, pluvieuses et selon les vignes bien ou médiocrement fournies de feuilles, tous ces évènements luy servoient de règles pour la composition de ses cuvées si distinguées. Et Dom François [52]précisera que cet homme unique a conservé jusque dans une vieillesse décrépite, une délicatesse de goût si singuliere [53], qu’il discernait sans s’y méprendre, en goûtant un raisin, le canton qui l’avait produit .

Cette technique nouvelle fait entrer Dom Pérignon dans l’histoire, et le fait figurer dans les dictionnaires par des articles comme celui-ci, qui date de la fin du XVIIIe siè­cle : Dom Pierre Pérignon, Bénédictin, né à Sainte-Menehould, mort en 1715, rendit de grands services à la Province de Champagne en lui apprenant comment il fallait combiner les différentes especes de raisins, pour donner à son vin cette délicatesse et ce montant qui l’ont si fort accrédité [54]. Il est de fait que ce sage et modeste reli­gieux a été l’objet en son temps d’une renommée qui dé­passe le seul mérite de son innovation et doit être attribuée à l’ensemble des éminentes qualités dont il a fait preuve comme homme et comme prêtre, aussi bien que dans ses fonctions de cellérier. En ce qui concerne sa sagesse, on lit dans le Mercure de France de novembre 1727 que ce Religieux qu’on pourrait prendre pour quelque gourmet, ne buvoit jamais de vin, et ne vivoit presque que de laitage et de fruits. Et comme le dit le frère Pierre, il faut s’en rapporter aux principes de celui qui a un ta­lent particulier, et éclairé par une longue expérience a acquis la gloire d’avoir donné aux vins d’Hautvillers toute la haute réputation dont ils jouissent d’un pôle à l’autre . La réputation de Dom Pérignon est une caution de qualité pour les vins de l’abbaye.

Le marquis de Puysieulx écrit le 23 septembre 1690 à Adam Bertin du Rocheret [55] : Je voudrois bien avoir deux excellentes pièces de vin de riviere. Je crois qu’il sera mieux d’en avoir d’Hautvillers que de nul autre endroit. Je vous prie de les demander de ma part au Père Prieur d’Hautvillers et à Dom Pierre Perignon, Procureur du susdit monastere et leur faites bien mes compliments. Le comte d’Artagnan, autre client d’Adam Bertin du Rocheret, lui écrit le 9 novembre 1715 : M. le marquis de Pizieux qui arriva hier m’a dit que le Père Pérignon éstoit mort ; qui a fait bien parler de luy durant sa vie ; je voudrois bien que vous eussiez pensé à moy sur les premiers vins de cette abbaye, car, franchement, ce sont les meilleurs.

Dom Pérignon est donc célèbre dès son vivant et bien au-delà des limites de la Champagne. Le poète Regnard, son contemporain, le cite dans son Epitre XI :

Je te garde avec soin, mieux que mon patrimoine,
D’un vin exquis sorti des pressoirs de ce moine
Fameux dans Ovilé, plus que ne fut jamais
Le défenseur du clos vanté par Rabelais.

En outre, comble de la popularité, le cellérier d’Hautvillers figure dans une énumération des hauts lieux de Champagne, sous la plume d’un commentateur de Boileau, Claude Brossette, qui, dans une note de la troisième satire (Le Repas ridicule), fait l’erreur de le prendre pour un cru viticole, à l’inverse du singe de la Fontaine qui prenait le Pirée pour un homme. Il écrit en effet que les plus fameux Côteaux qui produisent le vin de Champagne sont Rheims, Pérignon, Silleri, Haut- Villiers, Aï, Taissy, Verzenai, S. Thierri [56].

Voici ce que l’on peut lire à ce sujet dans l’entretien XIV du Spectacle de la Nature de l’abbé Pluche : Le chevalier : Hier en lisant le festin de Despréaux, je trouvois tous les noms dont Monsieur vient de parler. Je voulus ensuite voir sur la carte les noms de Pérignon, de Silleri, dont il est parlé dans la note : mais j’avois beau chercher Pérignon sur la carte, avant que de l’ y trouver.
La comtesse : Le faiseur de notes a pris un homme pour une montagne : c’est une bagatelle.

On peut penser enfin que c’est en hommage à ses réelles qualités que Dom Pérignon a eu l’honneur d’être enterré dans le choeur de l’église abbatiale d’Hautvillers, à côté d’ailleurs de son ami Dom Ruinart, dont le nom sera donné quatorze ans plus tard par un de ses neveux à la première Maison de champagne.

Voici pour l’histoire. Mais en raison des talents et de la popularité de Dom Pérignon d’une part, de l’atout qu’il pouvait représenter pour la promotion du champagne d’autre part, on lui attribuera des faits et gestes qui tiennent plus de la fable que de la réalité, d’autant plus sujets à caution que c’est très tardivement que prendra naissance ce phénomène. C’est en effet en 1865 seulement, un siècle et demi après sa mort, que Louis-Perrier exhumera un document avançant des affirmations dont personne n’avait parlé auparavant [57]. Il s’agit d’une lettre écrite de Montier-en-Der, le 25 octobre 1821, à M. d’Herbès, bourgeois d’Ay, par Dom Grossard, alors curé desservant de Planrupt et Frampas, mais dernier procureur de l’abbaye d’Hautvillers qu’il avait quittée à la Révolution. Sans mettre en doute l’authenticité de cette lettre, dont une copie est conservée aux archives départementales de la Marne, force est de constater qu’elle émet des allégations nouvelles concernant des faits vieux d’un siècle, dont l’auteur n’a pas été témoin, et pour certaines d’entre elles sans fondement et même manifestement erronées. Il convient donc de faire œuvre d’historien pour examiner ce qui est attribué à Dom Pérignon par Dom Grossard et par les nombreux auteurs qui s’en sont inspirés.

Il faut mentionner en premier lieu la découverte de la méthode permettant de rendre mousseux les vins de Champagne ; cette question étant d’une grande importance pour l’histoire du champagne, il y sera répondu en détail au prochain chapitre. Mais que penser du secret de Dom Pérignon qui, selon certains, aurait révolutionné la technique de production des vins de Champagne ? Dom Grossard se dit dépositaire d’un secret de coller le vin qui n’est autre, apparemment, qu’une simple formule de praticien utilisée pour obtenir une bonne clarification. Longtemps auparavant, le chanoine Godinot avait, lui aussi, signalé un secret du Père Pérignon, mais de l’explication qu’il en donnait dans l’édition de 1722 de son traité, on peut conclure qu’il s’agissait seulement d’une recette empirique visant à améliorer la qualité de certains vins :

Il ne reste plus qu’à parler du secret du fameux P. Pérignon. Une personne assez digne de foi a prétendu que ce Père lui avoit confié son secret peu de jours avant sa mort ; quelque peine qu’on ait à le croire, on donnera ici ce secret tel que cette Personne dit l’avoir écrit, sous ce Religieux, comme il étoit sur sa fin. Dans environ une chopine de Vin, il faut faire dissoudre une livre de sucre candi, y jetter cinq ou six pêches séparées de leurs Noïaux, pour environ quatre sols de Canele pulvérisée, une Noix Muscade aussi en poudre : après que le tout est bien mêlé et dissous, on ajoûte un demi sétier de bonne eau de vie brûlée ; on passe la colature au travers un linge fin et bien net, on jette la liqueur dans la pièce de Vin, ce qui le rend délicat et friant : Il faut autant de tout ce qui vient d’être dit pour chaque pièce, et l’entonner le plus chaudement qu’il est possible, dabort que le Tain du tonneau a cessé de bouïllir.

Quoi qu’il en soit, si un secret avait été d’une importance quelconque, il aurait été rapidement découvert par la concurrence et exploité pour des fins commerciales. Comme l’a écrit Roche, ce fameux secret que personne n’a cherché à connaître, probablement parce qu’il n’existait pas, les malins vont s’en dire détenteurs pour attirer la clientèle  [58]. En réalité, comme l’écrit fort justement René Gandilhon, ce fameux secret, n’en était pas un, du moins au sens d’un procédé de fabrication gardé jalousement à l’abri des indiscrets. Il faut songer plutôt à un talent personnel, secret tout métaphorique, tenant à des aptitudes particulières, à un art incommunicable.

Dom Grossard affirme que Dom Pérignon, sur la fin de ses jours était aveugle. Or aucun auteur du XVIIIe siècle n’en fait état, pas même Dom François, son biographe, qui se contente d’écrire que dans une vieillesse décrépite, après avoir goûté les raisins, il les rangeoit chacun selon le sol d’où ils venoient, et marquoit avec assurance les espèces qu’il convenoit d’allier pour avoir la meilleure qualité de vin . Certes, on peut épiloguer sur le fait de savoir si son goût pouvait suppléer sa vue pour effectuer le tri des raisins, mais, jusqu’à preuve du contraire, il apparaît bien que sa prétendue cécité soit due à l’imagination de Dom Grossard.

On a enfin soutenu que Dom Pérignon aurait été le premier à pratiquer le bouchage au liège. Cette assertion est apparemment inexacte puisque, comme on vient de le voir, les bouchons de liège ont été utilisés en Champagne à partir de 1685, donc avant l’arrivée de Dom Pérignon à Hautvillers. En outre, elle est cette fois en contradiction avec l’opinion même de Dom Grossard qui a écrit dans sa lettre à M. d’Herbès qu’à l’abbaye, pour mettre le vin en bouteilles, au lieu de bouchon de liège, on ne se servait que de chanvre et on imbibait dans l’huile cette espèce de bouchon. Dom Pérignon aurait adopté le liège après avoir effectué un voyage en Espagne, selon les uns, après avoir reçu la visite de moines espagnols, selon les autres. Or il semble qu’il n’ait jamais été en Espagne, et s’il avait accueilli des religieux espagnols, ces derniers auraient pu, tout au plus, l’inciter à adopter une méthode déjà connue, en Angleterre notamment. Dom Pérignon n’a pas inventé le bouchon de liège, qui était connu longtemps avant lui, a écrit l’écrivain britannique Younger [59].

En vertu du principe qu’on ne prête qu’aux riches on a porté au crédit de Dom Pérignon bien d’autres initiatives, comme la modification des bouteilles ou même l’invention de... la flûte à champagne ! Au demeurant qu’importe l’affabulation, puisque la vérité historique est assez fournie pour que le célèbre cellérier puisse être à bon droit considéré comme un des grands personnages de la Champagne.

Un autre religieux a fait bien parler de luy. Il s’agit de Jean Oudart, frère convers de la communauté des Bénédictins de l’Abbaye de Saint-Pierre-aux-Monts de Châlons, de la même famille monastique que l’abbaye d’Hautvillers. Frère Oudart [60] arrive en 1680 ou 1681 à Pierry [61], où son abbaye possède des bâtiments. Elle est également propriétaire de vignes, sises à Pierry, Avize, Cramant, Chouilly et Épernay, dont Frère Oudart aura la charge jusqu’à sa mort en 1742. De seize ans plus jeune que Dom Pérignon, il lui survivra pendant 27 ans. Sans qu’il soit possible de lui attribuer une quelconque initiative technique dans le développement des vins de Champagne, il a été tenu en grande estime en raison de la qualité qu’il a su donner à ses vins et Louis-Perrier [62] a écrit : Il faut aussi rappeler le nom de Frère Jean Oudart, dont la réputation de fin connaisseur n’était guère moins bien établie que celle de Dom Pérignon. Il s’entendait à faire bien le vin et à le vendre bien. Frère Oudart a sans aucun doute pratiqué l’assemblage des raisins, à la suite de Dom Pérignon avec qui il a travaillé pendant plus de trente ans à l’amélioration des vins de Rivière, partageant avec lui l’honneur, rare dans les usages bénédictins, d’être enterré « en église » en dehors de la clôture monastique.

Il est certain que Dom Pérignon et Frère Oudart étaient parvenus à donner à leurs vins une qualité très supérieure à celle de la plupart des crus de Champagne. Les prix de vente en témoignent, tels que les indique, dans une lettre du 13 novembre 1700, Adam Bertin du Rocheret au maréchal d’Artagnan : Les bons vins et plus excellens se vendent 400, 450, 500, 550 livres la queue. Les médiocrement bons qui sont pourtant bons se vendent 300 livres, ceux d’après se vendent 150 livres. J’omettois de vous dire que ceux des religieux d’Oviller et de Saint-Pierre sont de 800 et 900 livres.

Sur les pentes est et nord de la Montagne de Reims et autour de Reims, on a longtemps fait uniquement des vins rouges, d’une qualité inégale et toujours inférieure à celle des vins de la vallée de la Marne. La Framboisière le notait : En la montaigne de Reims, il y a d’assez bons vins, quand l’année est chaude, autrement ils sont petits et verdelets [63]. En 1603, selon Pussot [64], ils se vendaient 50% moins chers que le vin nouveau de la rivière de Marne. Mais dans la deuxième partie du XVIIe siècle, on va faire là aussi des vins gris, à l’imitation de ceux d’Ay et de Pierry. La qualité en devient rapidement si bonne qu’elle leur vaut d’être honorés d’une appellation nouvelle, les vins de Montagne. Parmi ceux de Montagne, écrit le chanoine Godinot, [ceux de Sillery, Verzenay, Taissy, Mailly, sur tout SaintThierry, ont le plus de réputation ; ce dernier a même été pendant long-temps le plus renommé, et le plus recherché, et l’on peut dire aussi qu’il ne cede en rien aux meilleurs de Champagne [65] [66]. Les vins de Montagne partagent le succès des vins de Rivière, avec toutefois des fortunes diverses ainsi que l’atteste l’intendant de Champagne Larcher, marquis de Baye, dans un mémoire de 1698 de la généralité de Châlons.

Élection de Reims : Tout le monde connoît la bonté de ces vins qui sont sans contexte les meilleurs du monde.

Élection d’Épernay : Sa principale richesse est en vins qui y sont partout fort bons, et dont les plus excellens sont ceux d’Auvilers, de la vallée de [Pierry>commune75], de Cumières, d’Aï et de Mareüil. Ces vins ont été depuis cinq ans ou six ans preferez (au goût des bons connoisseurs) aux meilleurs des montagnes de Reims à cause de leur délicatesse qui n’en diminue pas neanmoins la force.

Chaque catégorie a ses caractéristiques propres : les vins de la vallée de la Marne sont fins et relativement légers, ceux de la Montagne de Reims corsés et de meilleure garde. Voici ce qu’en dit le chanoine Godinot :

On convient en Champagne que le vin de Rivière est ordinairement plus blanc que celui de Montagne, plus gracieux, plus entrans, ou plus préts à boire que les autres qui sont plus durs, plus fumeux. Ces vins plus tardifs se soutiennent aussi plus que les premiers, et dans les bonnes années ils se conservent également bien dans les flacons pendant cinq ou six ans.

Depuis 1665 environ, autrement dit depuis les débuts du vin gris, qu’ils soient rouges ou blancs, qu’ils proviennent de la Rivière, de la Montagne, ou d’autres régions de la généralité de Châlons, les vins produits en Champagne sont définitivement connus comme vins de Champagne. Vive le pain de Gonesse, avec le bon vin de Paris, de Bourgogne, de Champagne, écrit Patin dans une lettre datée du 21 novembre 1669). Il arrive même, consécration suprême, que l’on emploie tout simplement le mot Champagne, comme le fait La Bruyère : Un grand aime la Champagne, abhorre la Brie [67], il s’enivre de meilleur vin que l’homme du peuple  [68].

Lorsque le XVIIe siècle touche à sa fin, la province n’a toujours pas de vins mousseux, mais elle dispose d’un ensemble complet de vins tranquilles. Avec les raisins noirs, on fait les vins gris, qui sont des vins blancs de grande réputation, produits autour d’Épernay et sur les versants de la Montagne de Reims. Avec les raisins noirs, on fait aussi, dans toute la province et en grande quantité, des vins rouges de consommation courante, de couleur peu définie [69]. Mais il existe également des vins rouges de qualité, produits dans certains crus de vin gris, et dans la région de Bar-sur-Aube, et qui permettront à frère Pierre d’écrire en 1719 que depuis environ cinquante ans, on s’est essayé à faire du vin rouge par des principes raisonnés qui pouvoient produire un ensemble parfait. Avec les raisins blancs, quand on ne les mélange pas à 1a vendange noire, on fait un peu partout et en petite quantité des vins blancs assez mauvais, mais on en fait de meilleurs sur les pentes de la falaise crayeuse située au sud de la Marne d’Épernay [70] et autour de Bar-sur-Aube [71]. Il existe aussi deux singularités, qui se consomment l’hiver même de leur vinification, la tocane, vin nouveau fait de la mère-goutte [72] [73], et le vin bourru provenant, dit le chanoine Godinot, de raisins blancs laissés sur souche jusque vers la Toussaint, quelquefois vers le huit ou le dix de novembre, qu’il fait des matinées froides, et qu’on fait vendre et débiter presque tout chaud.

L’abbé Rozier, dans un mémoire de 1772, rendre aux vins de Champagne un hommage d’autant plus significatif qu’il n’est pas champenois, mais lyonnais, et qu’il est une sommité de l’agriculture, auteur, avec Chaptal et quelques autres savants, du Cours complet d’agriculture. Voici ce qu’il écrit : C’est à peu près au milieu du siècle dernier qu’on a commencé à parler de l’excellence des vins de Champagne : cependant cette Province n’est pas dans un exposition plus méridionale que l’Isle de France et la Lorraine où les vins sont plats et foibles. Je le répète, c’est par les soins multipliés que les Champenois ont pris de leurs vignes, et La perfection qu’ils ont donnée à leur méthode de faire le vin, qu’ils sont parvenus à fixer ce degré de délicatesse qu’on leur connoit. Il s’agit donc d’une réputation bien établie, excellente, qui est la conséquence non seulement de l’invention et de la vogue du vin gris [74], mais aussi de son extension à un partie notable de la Champagne viticole, avec la propagation des techniques nouvelles de culture de la vigne et d’élaboration du vin.

Cette notoriété est générale et ne se limite plus aux quelques crus auxquels se sont identifiés longtemps les vins de la Champagne et qui devaient leur renom à une production de qualité due à d’heureuses conditions naturelles locales, et à la présence soit d’un domaine religieux (Avenay, Hautvillers, Pierry, Saint-Thierry, Sézanne, Vertus, Verzy), soit d’une place de commerce (Ay), soit de l’un et de l’autre (Bar-sur-Aube,Châlons, Épernay, Reims) [75]. Ces vignobles fameux n’avaient certes pas démérité. En ce qui concerne Ay, Guy Patin en donne la preuve par un jeu de mots, dans une lettre écrite le 5 décembre 1659 : Nous avons aujourd’huy fait l’acte de la Vesperie de mon second fils Carolus, il passera Docteur dans ce même mois ; nous avons ici festiné avec environ trente de mes meilleurs amis, et nous n’y avons bû que du vin de Beaune et d’Ai que le bon Dom-Baudius disoit à feu Mr le Président de Thou qu’il falloit nommer Vinum Dei [76].

Deux villages, Sillery et Verzenay, ont pris place ultérieurement dans la panoplie des crus prestigieux. Le chanoine Godinot, comme on l’a vu à propos des Vins de Montagne, les classe parmi les plus réputés, et dès 1650 Maucroix écrit dans une églogue [77] :

Montre-moi Verzené, dont la liqueur charmante
Surpasse le nectar du fameux clos de Mante [78].

La promotion de ces nouveaux venus est due à une famille qui y possède terres et vignes, avec un château à Sillery, les Brulart de Sillery. Du début du XVIIe siècle, lorsque Nicolas est chancelier d’Henri IV, jusqu’à la Révolution, cette lignée de gentilshommes est présente, avec des fortunes diverses, à la cour de France. La viticulture étant devenue à la mode dans la noblesse et la bourgeoisie, on fait son vin et on le fait connaître autour de soi. Olivier de Serres écrit en 1600 que l’on voit desloger des grosses villes les présidens, conseillers, bourgeois et autres notables personnes pour aller aux champs, à leurs fermes, pourveoir aux vins  [79]. Propriétaires de vignes à Sillery, Ludes et Mailly, mais surtout à Verzenay, les Brulart font déguster à Versailles leurs vins rouges et leurs vins gris, donnant ainsi à Sillery, et dans une proportion moindre à Verzenay, une renommée flatteuse qui sera à son apogée au XVIIIe siècle. En 1770, la superficie des vignobles des Brulart sera de 110 arpents, soit environ 50 hectares, chiffre très important pour l’époque [80]. Edme Béguillet, avocat au parlement de Dijon, œnologue, rarement en veine d’amabilité pour les Champenois, parlera la même année des vins de Sillery qui ont une qualité si supérieure qu’on les réserve pour la bouche du Roi. Il est vrai qu’Adélaïde, maréchale d’Estrées, dernière descendante en ligne directe des Brulart de Sillery, leur apportera alors des soins si éclairés qu’une de ses vignes sera connue par la suite sous le vocable de Clos de la maréchale. À sa mort en 1785, la ligne directe des Brulart de Sillery s’éteindra et les vignobles deviendront la propriété d’Alexis Brulart, comte de Genlis, époux de la célèbre femme de lettres.

Celle-ci écrira que Jean Jacques Rousseau aimoit beaucoup une sorte de vin de Sillery, couleur de pelure d’oignon et qu’elle et son mari faillirent se brouiller avec lui car il s’était trouvé offensé de ce que le comte de Genlis lui avait fait porter un panier de 25 bouteilles de vin de Sillery, alors qu’il ne lui en avait demandé que deux bouteilles ! [81].

On a prétendu que deux Champenois illustres, les ministres Le Tellier et Colbert, auraient, comme les Brulart, fait campagne à Paris pour les vins de Champagne. C’est ce qui est affirmé à l’époque par un médecin de Beaune, le sieur De Salins, dont il sera parlé plus loin à propos de la Querelle des Vins, polémique entre les Bourguignons et les Champenois. Cette assertion est aussitôt réfutée dans le Journal des Sçavans du 7 juin 1706. On y lit, s’agissant de la Champagne, que tout le monde sçait que l’un de ces Ministres n’ y a jamais possédé aucun autre domaine que la terre de Louvois [82], dont le revenu ne consiste qu’en bois ; et que l’autre y avoit si peu de vignes, que ce serait faire injure à sa mémoire de croire que cela eût été capable de le détourner le moins du monde de son application continuelle aux affaires de l’Etat. René Gandilhon fait remarquer pour sa part que Colbert commandait pour sa table des vins de Cuissy, et que la cave de son domicile parisien contenait, quand il mourut, pour tout vin... un foudre de vin blanc du Rhin . On peut ajouter que le cru de Louvois n’était pas connu à l’époque, ce qui n’aurait pas été le cas si les Le Tellier en avaient assuré la promotion.

Quoi qu’il en soit, dans les années seize cent soixante, le vin de Champagne n’a plus besoin de patronage. Voici ce qui en est dit en 1674 : Si la Champagne reüssit, c’est la que les fins et les friands courent avec empressement, il n’est point au monde une boisson, et plus noble et plus délicieuse, et c’est maintenant le vin si fort à la mode que tous les autres ne passent presque, chés les curieux, que pour des vinasses, et des rebuts, dont on ne veut même pas entendre parler. Aussi est-il constant qu’il a une seve admirable, que son goust charme, et que ce montant dont il embaume l’odorat est capable de resusciter un mort. De plus, le vin de Champagne, s’il est estimé des fins et friands gentilshommes, est le vin du roi. Saint-Simon nous apprend que Louis XIV avait uniquement usé toute sa vie... du meilleur vin de Champagne, jusqu’à ce que son médecin Fagon lui prescrive de se mettre au vieux vin de Bourgogne, ce qui est confirmé par le marquis de Dangeau qui écrit dans son Journal, le 16 octobre 1695 : Le roi, qui n’avait jamais bu que du vin de Champagne, l’a quitté entièrement pour boire du vin de Bourgogne, par l’avis de M. Fagon. La cour se doit de suivre l’exemple venu d’en haut, et le vin de Champagne s’y trouve tout naturellement en vogue, sans qu’il soit nécessaire de remonter au sacre de Louis XIV comme le fera Chaptal en une supposition hasardeuse, avançant que les grands qui accompagnèrent Louis XIV à son sacre, rendirent aux vins de Silleri, d’Hautvillers, de Versenai, et de plusieurs autres territoires voisins de Rheims, la célébrité qu’ils avoient eue autrefois et dont ils ont joui depuis [83].

Un autre roi, en exil à Saint-Germain, Jacques II d’Angleterre, faisait du vin de champagne son ordinaire, si on en croit ce qu’écrit Saint-Simon au sujet des démêlés qu’il eut avec l’archevêque de Reims lors de l’assemblée du clergé de 1700 : Monsieur de Reims y tenoit une grande table, et avoit du vin de Champagne qu’on vantat fort. Le roi d’Angleterre, qui n’en buvoit guères d’autres, en entendit parler, et en envoya demander à l’archevêque, qui lui en envoya six bouteilles. Quelque temps après, le roi d’Angleterre, qui l’en avoit remercié, et qui avoit trouvé ce vin fort bon, l’envoya prier de lui en envoyer encore. L’archevêque, plus avare encore de son vin que de son argent, lui manda tout net que son vin n’était point fou et ne couroit pas les rues, et ne lui en envoya point.

Les vins de Champagne une fois admis et loués à la cour, il est normal qu’ils figurent dans la littérature de l’époque. Si on ne les trouve pas sous la plume de Molière, si ce n’est certainement pas à eux que fait allusion Harpagon lorsqu’il donne à Madame Claude le gouvernement des bouteilles de son souper d’avare, on peut cependant légitimement penser que c’est bien du vin de Champagne que Monsieur Jourdain offre à Dorimène au cours du festin de l’acte IV du Bourgeois gentilhomme. En tout cas, Molière en fait personnellement usage, comme le prouve l’addition, carte du sieur de Molière, du cabinet n° 7 du cabaret A la Bouteille d’Or où il va souper avec Chapelle et Boileau, autographe reproduit par le Charivari du 19 février 1852. On y voit les vins de Mascon, de Bordeaux, de Champagne accompagner huistres, bartavelle aux truffes, flan à la Hocquincourt et fromage de Brie.

Boileau, contrairement à ce que certains ont écrit, ne cite pas les vins de Champagne dans son Repas ridicule, mais en 1674, il écrit au chant IV du Lutrin :

Je sais ce qu’un fermier nous doit rendre par an,
Sur quelle vigne, à Rheims, nous avons hypothéque.
Vingt muids rangés chez moi font ma bibliothèque.

La Bruyère le suit en 1687 :

Champagne [84], au sortir d’un long dîner qui lui enfle l’estomac, et dans les douces fumées d’un vin d’Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu’on lui présente, qui âteroit le pain à toute une province si l’on n y remédioit

Quant à Regnard, il fait entrer en 1700 le vin de Champagne au théâtre, dans Le Retour imprévu. Dans la scène II, à Lisette qui demande si on a donné de bons ordres pour le régal d’aujourd’hui, Merlin réplique : Je t’en réponds... L’illustre Forel a envoyé six douzaines de bouteilles de vin de Champagne comme il n’y en a point : il l’a fait lui-même. On voit là une confirmation de l’intérêt que les gens fortunés portent aux choses de la terre, et en particulier au vignoble champenois. Et, plus loin, on lit, scène IX : Tu trouveras bonne compagnie ; ne t’effarouche point, on te fera boire du bon vin de Champagne, et scène XX : J’y viens de boire du bon vin de Champagne, et en fort bonne compagnie, intéressants rapprochements entre le bon vin de Champagne et la bonne compagnie, que l’on retrouve encore aujourd’hui. On rencontre d’ailleurs le vin de Champagne dans toute l’oeuvre de Regnard. Dans Le Voyage en Normandie, narration effectuée en 1698, il place au nombre des félicités du voyage : Surtout, bon gîte, bon lit, avec du vin de Champagne.

Les vins de Champagne sont donc célèbres, ils sont bien faits, ils sont de bonne garde, ils voyagent sans difficultés. Il s’ensuit qu’ils se vendent bien. Le chanoine Godinot conseille d’appliquer la technique champenoise en Berry, en Bourgogne, en Languedoc, en Provence ; au lieu de les vendre un ou deux sols le pot, comme ils font ordinairement, ils les vendroient huit ou dix. Entre 1688 et 1698, en Champagne, le prix moyen de la queue passe, pour les vins de qualité, de 200 à 600 livres. Les vins les plus réputés atteignent des prix faramineux, 900, 950 livres la queue ! le Mémoire de 1698 de la généralité de Châlons affirmant cependant que ce sont des prix outrés qui, apparemment, ne se soutiendront pas longtemps. A l’auberge, les vins de Champagne sont les plus chers. La carte du sieur de Molière précitée indique qu’au cabaret A la Bouteille d’Or la demi-bouteille de vin de Champagne vaut 3 livres 10 sols, contre 3 livres pour la bouteille de Bordeaux et 1 livre pour la bouteille de Mâcon.

Pour les transactions, il s’agit essentiellement de commerce en gros. Le Dictionnaire universel de Furetière précise que le plus souvent il est défendu par les Ordonnances de la ville de vendre du vin en détail dans les bouteilles, mais seulement dans des pots d’étain, marquez et etalonnez. Le commerce n’est pas l’apanage des marchands. Il est aussi le fait des abbayes, ainsi que des nobles et bourgeois propriétaires de vignes, et on peut lire dans le Mémoire de 1697 de la généralité de Châlons qu’il n’y a guère d’officiers et de bons bourgeois qui n’aient des vignes. Chacun place son vin chez quelques amis et clients et vend le surplus à Reims ou à Paris. Les courtiers servent d’intermédiaires entre le vendeur et l’acheteur. Ils goûtent les vins et sont alors courtiers-gourmets [85]. Ils jugent de leur valeur marchande, ils vérifient la contenance des tonneaux lorsque l’on n’a pas fait appel au jaugeur. Ils conduisent l’acheteur à l’étape [86] et dans les caves des propriétaires.

Le roi ayant créé des charges de gourmets royaux en 1660 et de commissionnaires courtiers en 1691, les courtiers redoublent d’activité pour se rembourser des fortes sommes qu’ils ont dû payer pour les acheter. Ils en arrivent ainsi à faire commerce pour eux-mêmes, bien que ce soit interdit par leurs statuts, et donc, eux aussi, à concurrencer les marchands [87]. Cela est surtout vrai à Reims, grand centre commercial des vins de Champagne, et pratiquement le seul depuis que Châlons a vu diminuer son importance si on en croit le Mémoire de 1698 de la généralité de Châlons : Il s’y foisoit autrefois un assez grand commerce de vins, mais ce commerce de vins s’est depuis établi dans la ville de Reims et a tout à fait cessé à Châlons. Il faut tout de même noter qu’au XVIIIe siècle plusieurs marchands expédieront vers l’étranger depuis Châlons et que des négociants en vins de Champagne s’y installeront à partir de 1798. À Épernay et à Ay, il n’y a pas de marchands, au sens propre du terme, mais seulement des commissionnaires courtiers, cinq en 1661 et quatre en 1691, propriétaires de leur charge depuis 1531. Légalement, ils ne doivent vendre le vin qu’en fûts, mais ils expédient aussi en bouteilles et ils ouvrent les premières maisons de commerce de vins de Champagne de la vallée de la Marne.

Les marchands de profession, quant à eux, développent l’exportation, ce qui fera écrire à Voltaire que l’on a fait à cette époque de nouveaux vins qu’on ne connaissoit pas auparavant, tels ceux de Champagne, qu’on débite chez l’étranger avec un grand avantage [88]. Les Flamands en sont depuis le XVe siècle les principaux clients et les commerçants de Reims vont même chercher à Beaune les vins de Bourgogne pour les livrer en Flandre avec ceux de leur province. Durant tout le XVIIe siècle, les Anglais sont, pour leur part, de fidèles acheteurs de vins de Champagne. Lorsque la France et l’Angleterre sont en guerre, les importations continuent en contrebande, un des procédés habituels étant le transport des vins dans des tonneaux aux marques espagnoles. C’est ainsi que dans la pièce The Constant Couple, de Farquahr, on voit un marchand poursuivi pour avoir fait venir des vins français dans des tonneaux espagnols. Ces difficultés ont malheureusement pour conséquence de faire fleurir à Londres des imitations de vins français, vendues comme produits d’origine. Dans une comédie, des buveurs accusent le bordeaux d’être aussi adulterated que leurs femmes [89]. On trouve dans les librairies anglaises de nombreux ouvrages donnant les meilleures recettes pour faire du champagne artificiel, l’un d’eux assurant [90] qu’il sera comparable à ce que l’on fait de mieux dans la province de Champagne !

Quoi qu’il en soit, le prestige des vins de Champagne reste intact, comme on peut s’en rendre compte à la lecture des écrivains anglais de la deuxième moitié du XVIIe siècle. En 1668, Sir George Etheredge, grand nom de la Restauration anglaise, diplomate, créateur de la comédie de moeurs, fait jouer à Londres She wou’d if she cou’d. On loue au début de la pièce le plaisir du champagne que l’on y boit en compagnie. Puis au IVe acte, Mr. Rake-Hell, chevalier d’industrie, et deux gentilshommes campagnards, Sir Joslin Jolley et Sir Oliver Cockwood, chantent un air à boire où apparaît le vin de Champagne : Elle n’est pas ma maîtresse, celle qui ne boit pas son vin ou qui accueille en rechignant les propositions bachiques de mes amis ; si tu veux gagner mon coeur, bois ta bouteille de champagne, elle te tiendra lieu de produit de beauté et de potion d’amour. Dix ans plus tard, un autre auteur dramatique, Thomas Otway, dans Friendship in Fashion, met en scène, au premier acte, un buveur de champagne qui a presque vidé sa bouteille et se verra reprocher, au troisième acte, d’avoir abandonné le champagne, sa boisson favorite.

Le vin de Champagne est fréquemment cité par les écrivains de la Restauration, Shadwell, Congreve, Oldham, et surtout Prior, dans son poème The Chameleon, où son personnage, changeant d’habitudes selon le goût du jour, boit du champagne avec les beaux esprits, et dans The Hind and the Panther, parodie versifiée d’un poème de Dryden, où le champagne est prévu au repas à prix fixe. En 1700 enfin, dans l’épilogue de The Constant Couple, Farquahr adresse au vin de Champagne un joli compliment, en même temps qu’il atteste que c’est la boisson favorite des meilleures tavernes : Maintenant tous s’en vont, chacun à sa façon, passer la soirée à parler de la pièce. Certains se retirent au café par souci d’économie. D’autres, plus larges, vont la mettre sur le gril au Locket’s ; mais là au moins, je l’espère, les craintes de l’auteur seront vaines car la méchanceté ne s’est jamais exprimée à travers le généreux champagne [91].

À l’orée du XVIIIe siècle, les vins de Champagne ont donc conquis leurs lettres de noblesse, en France et à l’étranger. Poursuivant leur carrière victorieuse, ils vont entrer dans une ère nouvelle en devenant effervescents.

Notes

[1Henri de Lorraine, cinquième duc de Guise, archevêque de Reims à l’âge de 15 ans.

[2CROZET (René). Histoire de Champagne. Paris, 1933.

[3On employa longtemps en Champagne le mot derlache pour désigner une brute sanguinaire

[4Soit plus de 1 200 hectolitres.

[5ROCHE (Émile). Le Commerce des vins de Champagne sous l’ancien régime. Châlons-sur-Marne, 1908.

[6LA BRUYÈRE. Les Caractères ou les murs de ce siècle.

[7MIREAUX (Émile). Paysans du Grand roi, dans La Revue de Paris, novembre 1958.

[8GANDON (Yves). Champagne. Neuchatel, 1958.

[9Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne, avec l’art de faire le vin par le Cen Chaptal, M. l’Abbé Rozier, les Cens Parmentier et Dussieux. Paris, 1801.

[10D’où provient le Pinot blanc.

[11D’où provient le Pinot noir.

[12D’où vient le Meunier.

[13MERLET (Jean). L’Abrégé des bons fruits. Paris, 1667.

[14BIDET (Nicolas). Traité sur la nature et sur la culture de la vigne, sur le vin, la façon de le faire et la manière de le bien gouverner, à l’usage des différents vignobles de France. Paris, 1759.

[15BEGUILLET (E.). Œnologie ou discours sur la meilleure méthode de faire le vin et de cultiver la vigne. Dijon, 1770.

[16LE PAULMIER (Julien). Traité du vin et du cidre par julien de Paulmier, Docteur en la Faculté de Médecine à Paris, traduit du latin par Jacques de Cahagnes. Caen, 1589.

[17Clairet, pour le Dictionnaire de l’Académie de 1694, ne se dit proprement que du vin rouge à la distinction du blanc ; pour le Grand Vocabulaire françois de 1769, il n’a d’usage que pour désigner un vin rouge, peu chargé de couleur.

[18Paillé : ne se dit que du vin rouge lorsqu’il est peu chargé de couleur (Dictionnaire de l’Académie, 1694).

[19On dit d’un vin paillé tel qu’est ordinairement le vin d’Ay, que c’est un vin d’oeil-de-perdrix (Dictionnaire de l’Académie, 1694).

[20PIARD (Paul). L’Organisation de la Champagne viticole. Des syndicats vers la corporation. Paris, 1937.

[21LA FONTAINE. Contes et nouvelles en vers.

[22Art (l’) de bien traiter, divisé en trois parties ; ouvrage nouveau, curieux et fort galant utile à toutes personnes et conditions. Exactement recherché et mis en lumière par L.S.R. Paris, 1674.

[23Ès environs de Paris, pour faire le vin blanc, on fait demeurer dans la cuve la vendange foulée, écrit Olivier de Serres.

[24Quoi que ces Vins soient blancs, on les appelle des Vins gris, à cause qu’ils ne sont faits qu’avec des raisins noirs, précise Godinot. Il ne faut pas les confondre avec l’actuel vin gris des Côtes-de-Toul, qui est pressé après foulage, ce qui n’était pas le cas pour le vin gris de Champagne.

[25PLUCHE, (Abbé). Le Spectacle de la nature ou Entretiens sur les particularités de l’histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les jeunes gens curieux et à leur former l’esprit. Paris, 1763.

[26DION (Roger). Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe, siècle. Paris, 1959.

[27BEGUILLET (E.). Œnologie ou discours sur la meilleure méthode de faire le vin et de cultiver la vigne. Dijon, 1770

[28GODINOT (Attribué au chanoine jean). Manière de cultiver la vigne et déjoue le Vin en Champagne et ce qu’on peut imiter dans les autres Provinces pour perfectionner les Vins. Avignon, 1719. - Seconde édition augmentée de quelques secrets pour rectifier les Vins et des planches des divers pressoirs gravées. Reims, 1722

[29Il s’agissait de hottes en osier destinées aux courts trajets dans la vigne. Il existait aussi des danderlins, hottes en bois, cerclées de fer à la façon des tonneaux, utilisées pour le transport du moût depuis le pressoir jusqu’aux celliers ou parfois du vin. Il arrivait que l’on s’en servît pour le transport des raisins destinés à faire du vin rouge, mais Bidet recommande bien de ne pas les utiliser pour ceux destinés au vin gris.

[30MAUPIN. Méthode de Maupin .sur la manière de cultiver la vigne et l’art de faire le vin. Paris, 1799.

[31PIERRE (Frère). Traité de la culture des vignes de Champagne, situées à Hautvillers, Cumières, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, d’après un manuscrit rédigé par le Frère Pierre, élève et successeur de Dom Pérignon, appartenant à Mme la comtesse Gaston Chandon de Briailles et déchiffré par M. le comte Paul Chandon Moët. Épernay, 1931.

[32Né à Reims Nicolas Bidet (1709-1782) publie en 1752 une somme des connaissances sur la viticulture au XVIIIe siècle. Elle s’est ensuite enrichie d’une série de planches finement dessinées par Maugein et gravées par Choffart qui montrent des pressoirs, cuves et divers instruments de vinification. Il fut officier de la Maison du roi et sommelier de la reine Marie-Antoinette

[33Sir Edward Barry précise que le vin de goute est aussi appelé fort justement l’essence.

[34L’origine du mot taille s’explique par les modalités de l’opération : avec une grande pèle tranchante, on taille quarrément les extrémités de la masse des raisins : on rejette par dessus tout ce qui a été taillé des côtés, et on obtient ce qu’on appelle pour cette raison la première taille.

[35On appelle moût le jus de raisin qui n’a pas encore fermenté.

[36La lie est le dépôt résultant de la fermentation, resté en suspension dans le vin.

[37Le soutirage est l’opération par laquelle le vin est séparé de ses lies.

[38La bonde est la petite ouverture ronde pratiquée dans la partie supérieure du tonneau pour permettre de le remplir.

[39Cette méthode est encore utilisée de nos jours dans certaines régions vinicoles, avec une pompe en guise de soufflet. L’Abbé Rozier atteste en 1772 son origine champenoise et J.B.F. Gerusez précise que le boyau et le soufflet dont on se sert à Reims pour tirer le vin au clair, ont été inventés en 1692 .

[40Dans le Satyricon les amphores de Trimalcion portent l’inscription Falerne de 100 ans.

[41Les bouteilles et flacons seront mesurés à la despence de chacun repas, écrit Olivier de Serres qui précise que la seule boisson que l’on garde en bouteille est l’hypocras (mélange filtré de vin, sucre, gingembre et cannelle).

[42Tirer, c’est faire s’écouler le vin de la futaille ou de la cuve pour le mettre dans un autre récipient. On tire en bouteilles, on tire fûts. En Champagne, l’opération qui consiste à mettre en bouteilles pour la deuxième fermentation s’appelle tirage.

[43Il s’agit bien entendu, des bouchons de liège, qui feront écrire au poète allemand Schiller : Quelle vénération ne mérite pas le Créateur du monde qui, en créant le liège, inventa aussi sur-le-champ les bouchons !

[44CHANDON de BRIAILLES (Raoul) et BERTAL. Archives municipales d’Épernay. Paris, 1906.

[45Dévastée et restaurée à plusieurs reprises au cours de son histoire, l’abbaye a été sécularisée à la Révolution. Des bâtiments conventuels, il lie reste plus guère qu’une partie d’un cloître de 1672. Quant à l’église abbatiale, eIle dessert aujourd’hui la paroisse d’Hautvillers.

[46Les Célébrilés du vin de Champagne. Épernay, 1880.

[47GANDILHON (René). Naissance du champagne. Paris, 1968.

[48Baptisé le 5 janvier 1639, Dom Pérignon est né la même année ou l’année précédente ; dans ce dernier cas, il serait né et mort les mêmes années que Louis XIV.

[49DION (Roger). Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe, siècle. Paris, 1959.

[50DUDOYER de VAUVENTRIER. Mémoire sur partage pour les Sieurs Cazotte, de Failly et autres propriétaires (le vignes au terroir de Pierry, Intimés, contre les Religieux Bénédictins de l’Abbaye d’Hautvillers, Décimateurs d’une partie des terres de Pierry. Paris, 1780.

[51PLUCHE, (Abbé). Le Spectacle de la nature ou Entretiens sur les particularités de l’histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les jeunes gens curieux et à leur former l’esprit. Paris, 1763.

[52FRANÇOIS (Dam jean). Bibliothèque générale des écrivains de l’Ordre de saint Benoît, patriarche des moines d’Occident, par un religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Vanne. Bouillon, 1777-1778.

[53utaine écrit que Dom Pérignon avait un palais d’une délicatesse de sensitive.

[54(Nouveau Dictionnaire historique de tous les hommes qui se sont fait un nom par des talents, des vertus, des forfaits, des erreurs. Paris, 1789.

[55Adam Bertin du Rocheret (1662-1736) et son fils Philippe-Valentin (1693-1762), négociants en vins, hommes de lettres, furent tous deux présidents de l’élection d’Épernay.

[56BOILEAU-DESPRÉAUX. Œuvres. Ed. de 1716 avec les éclaircissements historiques donnés par lui-méme et les commentaires de Brossette.

[57Louis PERRIER. Mémoire sur le vin de Champagne. Paris, 1865.

[58ROCHE (Émile). Le Commerce des vins de Champagne sous l’ancien régime. Châlons-sur-Marne, 1908.

[59YOUNGER (William). Gods, men and wine. Londres, 1966.

[60C’est à tort que l’on a souvent dit et écrit Dom Oudart. On sait en effet par son acte de décès qu’il était frère ; or, dans l’ordre bénédictin, le titre Dom est réservé aux prêtres.

[61Pierry est à la sortie sud d’Épernay, à peu de distance de la ville, sur la route de Sézanne. On y trouve le château de la Marquetterie, actuellement propriété du champagne Taittinger, anciennement habité par Jacques Cazotte, auteur du Diable amoureux, mort sur l’échafaud. Cazotte a vendu la Marquetterie et les vignes attenantes le 2 mai 1766 (Arch. Marne, E87) et a ensuite habité la maison qui est aujourd’hui la mairie de Pierry.

[62Louis PERRIER. Mémoire sur le vin de Champagne. Paris, 1865.

[63LA FRAMBOISIÈRE (Nicolas-Abraham de). Gouvernement nécessaire à chacun pour vivre longtemps en santé. Paris, 1601.

[64PUSSOT (Jean). Journalier ou Mémoires de Jean Pussot, maure-charpentier en la Couture de Reims, publiés par E. Henry et Ch. Loriquet. Reims, 1858.

[65La bibliothèque d’Épernay conserve un exemplaire de ce document, annoté de la main de P.V. Bertin du Rocheret qui accuse le chanoine Godinot de partialité et juge Saint-Thierry.fort inférieur à Verzenay, Taissy et Mailly.

[66GODINOT (Attribué au chanoine jean). Manière de cultiver la vigne et déjoue le Vin en Champagne et ce qu’on peut imiter dans les autres Provinces pour perfectionner les Vins. Avignon, 1719. - Seconde édition augmentée de quelques secrets pour rectifier les Vins et des planches des divers pressoirs gravées. Reims, 1722.

[67Le commentateur des oeuvres de La Bruyère (édition Servois) précise que l’on emploie parfois au XVIIe siècle l’article la pour le. II s’agit bien de vins, comme le prouve d’ailleurs le contexte.

[68LA BRUYÈRE. Les Caractères ou les murs de ce siècle.

[69Le frère Pierre écrit qu’autrefois le hazard décidoit en partie de la variation des nuances .

[70Il s’agit de la région appelée aujourd’hui Côte des Blancs.

[71L’Aube et la Marne étaient séparées dans les siècles passés par une frontière administrative sans justification géologique.

[72La mère-goutte est le moût qui s’écoule du pressoir par gravité, avant la mise en route du mécanisme de pressurage. Le Dictionnaire de Trévoux précise que la Tocâne est le vin nouveau de Champagne, principalement dAy, qui est fort violente, et porte un goût de verdeur qui la fait éstimer.

[73Le Grand Vocabulaire françois. Paris, 1769.

[74On lit dans le Nouveau recueil de chansons : Des beautez d’Iris / Lesyeux sont éblouis ; / Mais, ce Vin gris / Mieux qu’Amour même en fait sentir le prix.

[75L’Aube et la Marne étaient séparées dans les siècles passés
par une frontière administrative sans justification géologique.

[76PATIN (Guy). Lettres choisies de feu Mr. Guy Patin. Colognc, 1695.

[77MAUCROIX (François de). Œuvres diverses. Reims, 1854.

[78Au XVIIe siècle, les vins de Mante (actuellement Mantes-la-Jolie) et de la Brie jouissaient respectivement de la meilleure et de la plus mauvaise réputation.

[79SÉVIGNÉ (Madame de). Lettres.

[80PÉCHENART (Abbé L.). Silleryet ses seigneurs. Reims, 1893.

[81GENLIS (Madame de). Mémoires.

[82Il s’agit de Michel Le Tellier, dont le fils, le ministre Louvois, a fait construire à proximité du village de Louvois un important château sis à l’orée de la forêt de la Montagne de Reims, d’où descendaient autrefois les loups qui avaient donné son nom au village (Louvais = lupi via). Un château de proportions plus modestes a remplacé l’ancien, démoli vers 1880, mais dont il reste une grille en fer forgé, des douves, quelques communs et une partie du jardin à la française dessiné par Le Nôtre.

[83Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne, avec l’art de faire le vin par le Cen Chaptal, M. l’Abbé Rozier, les Cens Parmentier et Dussieux. Paris, 1801.

[84Champagne est ici, bien entendu, un nom de personne, et non de vin ou de province.

[85Les courtiers de vin sont ceux qui goûtent les vins arrivant sur l’étape ou qui adressent les Acheteurs aux Vendeurs. Gourmets de vin, ceux qui goûtent les vins pour juger de leur bonté.

[86L’étape était le marché aux vins.

[87ROCHE (Émile). Le Commerce des vins de Champagne sous l’ancien régime. Châlons-sur-Marne, 1908.

[88VOLTAIRE. Le Siècle de Louis XIV.

[89FARQUHAR.Love and a Boitte.

[90HARTMAN (Geo). The Family Physitian. Londres, 1696.

[91Locket était une taverne renommée pour son champagne. Vizetelly a évoqué à son sujet les Quack Vintners, une satire de 1712, dont les auteurs, Brooke et Hilliers, souhaitaient qu’elle maintienne l’ancienne réputation qu’elle avait acquise pour son rich Champaign.