CHOIX DES VINS | |||||
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SERVICES | DOSAGE | MILLESIME OU SANS ANNEE |
AGE | CATEGORIE | CHOIX DE METS |
1er service | Brut | Sans année | Jeune | Blanc de blancs, crémant, champagne à dominante de Chadonnay | Potage - Hors d’œuvre (sans vinaigre) - Fruits de mer - Entrées froides et chaudes [2] |
2ème service | Brut ou extra-dry | Sans année, millésimé |
Moyen | id. | Poissons maigres |
Champagne à dominante de chardonnay ou sans dominante particulière |
Poissons gras - Volailles
- Viandes blanches - Légumes - Sauces blanches ou blondes [3] | ||||
3ème service | Brut ou extra-dry |
Millésimé [4] | Ancien | Blanc de noirs, champagne à dominante de noir, rosé | Viandes rouges [5] - Gibiers non faisandés - Sauces brunes peu épicées et sans vin |
Fromages [6] | Brut ou extra-dry |
Millésimé | Moyen ou ancien | Id. | Fromages à pâtes dures et demi-dures, à pâtes fraîches ou molles de saveur peu prononcée - Cendrées - Fromages de chèvre |
Dessert | Sec ou demi-sec |
Sans année | Ancien de préférence | Entremets - Pâtisseries (sans chocolat) | |
Brut | Millésimé | Très ancien |
En se basant sur ces quelques principes et exemples, la réussite du repas aux champagnes sera assurée et la satisfaction des participants sera parfaite, à l’image de celle que Gabriel Groley dépeignait ainsi dans l’Est Eclair du 22 juillet 1971, à la suite d’un dîner aux chandelles donné à Reims à l’occasion d’un congrès : Nous étions plus de 300 convives, formant la meilleure société. Les dames accompagnaient leurs maris. Le champagne coulait à pleins bords pour arroser tous les mets. Il n y avait pas d’autre vin. Sur le coup de minuit, l’ambiance atteignait au degré suprême de la sympathie universelle. La familiarité la plus exquise et la plus chaleureuse rapprochait tous les convives. Les propos joyeux jaillissaient de toutes les bouches. Pas de trivialités. L’esprit s’affirmait dans de merveilleuses flambées. Et je me souviens tout particulièrement, détail significatif, du rire expansif, franc, ingénu des femmes qui dominait le tumulte et s’égrenait en trilles cristallines d’une claire musicalité. Ceci marquait pour moi le triomphe du champagne.
Indépendamment du déjeuner et du dîner, d’autres repas peuvent se faire au champagne. En boire au petit déjeuner était jusqu’aux années 1950 assez rare et pouvait même paraître incongru. Cela s’était pourtant toujours fait et A.B. de Périgord en donnait la preuve en 1825 en parlant de ce petit repas pris dès le réveil, qui se termine par quelques rasades de tisane de champagne [7]. Au XXe siècle, des exemples illustres ont confirmé l’agrément du champagne matinal. Winston Churchill, en particulier, en prenait chaque jour un quart pour bien commencer des journées toujours chargées et Patrick Forbes assure qu’Albert 1er, roi des Belges, avait l’habitude d’en boire au petit déjeuner [8].
Désormais, le petit déjeuner au champagne, le champagne-breakfast en pays anglo-saxons, le Champagner-Frühstück en Allemagne et en Suisse alémanique, sont admis et appréciés, chez soi ou à l’hôtel. Comme l’écrit George Bain, le champagne au breakfast a une indéniable touche d’élégance [9], et à Monaco ou à Capri la jet society en arrose son petit déjeuner. Quant à ce repas agréable et pratique que les Anglo-Saxons appellent le brunch, contraction de breakfast et de lunch, et qui remplace les samedis, dimanches et jours de fête à la fois le petit déjeuner et le déjeuner, il s’accommode merveilleusement du champagne, qui correspond bien à son caractère d’agréable exception et s’accorde généralement au mieux avec ce que l’on y mange. L’habitude s’en répand en France et dans les palaces de l’avenue George V, à Paris, on sert régulièrement le brunch au champagne.
Au souper, le champagne est depuis le XVIIIe siècle la boisson presque obligée, car la plus apte à en assurer le succès et à procurer une digestion facile et un sommeil agréable [10]. Dans La Petite Marquise, Meilhac et Halévy ont écrit : Dites que l’on mette deux couverts sur une petite table avec ce qu’il faut pour souper, pour bien souper : du foie gras, du vin de champagne. Ce sont eux encore qui, dans Le Réveillon, ont fait dire à Métella, l’amie du prince Yermontoff : Qu’est-ce qu’un souper ? Un tas de bêtises dites par des personnes qui boivent du champagne.
Il n’y a d’ailleurs là aucun lien de cause à effet, bien au contraire. Comme dans toutes les autres occasions où il est bu, le champagne donne de l’esprit aux soupeurs. Si bien que l’on ne saurait s’en passer aux fêtes de fin d’année, principalement au réveillon de la Saint-Sylvestre, mais aussi à celui de Noël qui, disait Grimod de la Reynière, a été imaginé pour réparer les forces des fidèles, épuisés par une séance de quatre heures à l’église, et rafraîchir les gosiers alignés à force d’avoir chanté les louanges du Seigneur [11]. Sur une photo de Lartigue, Réveillon chez Sacha Guitry, prise en 1928, quatre bouteilles de champagne ornent une table de huit couverts et ce n’est apparemment qu’un commencement. Au Palace-Hôtel de Saint-Moritz, et c’est vrai pour beaucoup d’autres hôtels de sa classe, il se boit environ 2 000 bouteilles de tous formats dans la nuit du dernier jour de l’année, et Maurice Chevalier écrivait qu’en 1969, au souper de la Saint-Sylvestre à la Réserve de Knocke, sur le littoral belge, tout le monde champagnisait à coupe que veux-tu ! [12]
Pour le petit déjeuner, un champagne brut sans année fera très bien l’affaire. Il en sera de même pour le brunch et le souper, à moins que l’on ne souhaite raffiner et les ordonner autour du champagne, comme les repas principaux. Le champagne demi-sec s’impose toutefois pour succéder au brut si le souper comporte bûche de Noël ou autres mets sucrés, en Grande-Bretagne notamment pour accompagner le Christmas pudding, et il peut parfois remplacer complètement le brut pour un brunch à dominante douce, tel que cela se pratique par exemple à Haïti à l’Habitation Leclerc, palace de haute volée hanté par le souvenir de Pauline Bonaparte et du général Leclerc, son mari.
En dehors des repas, nombreuses sont les occasions d’ouvrir une bouteille de champagne. Dans la soirée, on n’oubliera pas l’aphorisme de Brillat-Savarin : Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit. Lorsque la soif se fera sentir, ou mieux un peu avant, on offrira à ses hôtes le champagne de l’après-dîner qui ranimera les conversations et mettra le point d’orgue idéal à une agréable réunion. Au restaurant, lorsqu’il aura quitté ses fourneaux, le patron agira de même avec ses derniers clients dont il se fera ainsi des amis disposés à reprendre le chemin de son établissement. Au bal, privé ou public, le champagne est le meilleur auxiliaire des danseurs. Il ranime leur énergie et, tout en les rafraîchissant, il constitue pour eux un plaisir sans cesse renouvelé pour autant qu’il soit mis largement à leur disposition, comme il se doit. Une aimable grand-mère, qui avait beaucoup dansé dans sa jeunesse, racontait qu’au cours de la soirée donnée pour ses 18 ans le maître d’hôtel était venu trouver son père en lui disant : « Je crois devoir prévenir Monsieur que Mademoiselle Marguerite en est au moins à sa douzième coupe de champagne. » Dans les temps passés le vin blond et pétillant accompagnait à merveille la polka et le quadrille des lanciers, il garde les mêmes vertus avec les danses modernes. Si on continue la soirée dans les établissements de nuit, c’est toujours le champagne qui vous accompagne, souvent obligatoire et inclus dans le prix du spectacle. Dans les grands cabarets parisiens, dans les night-clubs renommés de Londres et de Hambourg, son authenticité ne fait aucun doute, mais il peut arriver que dans certaines boîtes de nuit de Pigalle, de Soho et de Saint-Pauli les entraîneuses poussent à la consommation d’une boisson qui n’a de champagne que le nom et vous laisse le lendemain les plus mauvais souvenirs. Champagne ou pas, certaines ont l’art d’inciter le client à passer de la demi-bouteille à la bouteille, vite remplacée. Et comme elles perçoivent une ristourne, parfois importante, sur chaque bouteille commandée grâce à elles, il leur arrive de verser leur verre dans le seau sous prétexte qu’il est tiède ou de le renverser... accidentellement !
Que l’on rentre du théâtre, ou du cinéma, ou de chez des amis, ou bien que l’on soit resté chez soi, le champagne terminera très bien la soirée, sur une note agréable et sédative. C’est le meilleur des nightcaps et la star Liza Minnelli a confié au magazine Sunday Express de Montréal (7 novembre 1976) : Je prends toujours un verre de champagne quand je vais au lit, il me fait dormir aussitôt. Et si, par aventure, les excès de la veille ont rendu le lendemain le réveil pénible, contre la « gueule de bois », un verre de champagne à 11 heures du matin est le meilleur des remèdes, en attendant l’apéritif où le vin pétillant a toujours une place privilégiée.
L’usage de boire avant le repas vient de l’Europe du Nord et de l’Est. Il n’a été introduit en France que tout à la fin du XIXe siècle, et n’a été admis que fort tardivement au XXe siècle dans les milieux de l’aristocratie et de la bonne bourgeoisie. Le substantif "apéritif" date de 1890, et des boissons diverses ont vu le jour depuis cette date sous prétexte d’ouvrir l’appétit. Au nombre de celles-ci, le vin est la plus salutaire, qu’il s’agisse du porto, du madère, du xérès ou des muscats. C’est encore plus vrai pour le champagne, en raison de sa légèreté et de la salubrité particulière que l’on s’accorde à lui reconnaître.
C’est surtout en raison de son rôle social que l’apéritif s’est développé jusqu’à être aujourd’hui devenu un rite auquel peu de personnes acceptent de se soustraire. À la table familiale ou au restaurant, il est un agréable précurseur du repas et il met en train les futurs convives. Au bar et au café, il permet de faire un geste aimable envers autrui et apporte un réconfort passager au solitaire.
Dans toutes ces fonctions le champagne est sans rival, et il en était ainsi avant même que l’apéritif ait été institué. En 1825, Brillat-Savarin écrivait qu’à l’auberge, à Montgeron, il voyait tourner une broche chargée d’un gigot tout à fait comme il faut qui appartenait à trois Anglais qui l’avaient apporté, et l’attendaient sans impatience en buvant du champagne. Aujourd’hui, la poule au pot hebdomadaire recommandée par Henri IV est en passe d’être rejointe par la bouteille de champagne au frais chaque dimanche pour être bue à l’apéritif car, comme le dit un héros d’Harold Pinter dans No man’s land, le meilleur moment pour boire le champagne, c’est avant le déjeuner.
À l’apéritif, écrit le Bordelais Emile Peynaud, le champagne donne tout de suite le ton et ouvre la communication, ce que ne sait faire aucune autre boisson [13]. Pour Henri Gault et Christian Millau, dans le numéro de septembre 1979 de leur guide mensuel, il est un apéritif idéal. Il ouvre l’appétit, met le cœur en joie et n’embarrasse pas le palais de parfums et de goûts qui pourraient nuire aux mets et vins du repas. Ils observent que l’apéritif doit être le plus léger possible, ne pas monter à la tête, ne pas écraser les papilles par trop d’alcool ni par des parfums trop lourds ou trop marqués, et ne pas empâter la bouche, d’où ils concluent que le meilleur apéritif est le vin, surtout le champagne, la plus fine et la plus légère des boissons que l’on puisse prendre avant un repas et, très évidemment, la plus aristocratique.
Dans les bars, on boit le champagne en apéritif, mais aussi à toute occasion, dans ceux des hôtels pour un rendez-vous, dans ceux des théâtres à l’entracte, dans ceux des casinos, après un gain à la roulette, ou si on a perdu pour se consoler, à la buvette des hippodromes entre deux courses, ou simplement au bar du coin de la rue pour le plaisir et la détente. Nombre de personnes ayant à fournir un travail intellectuel intense et prolongé ont pris l’habitude de couper leur période d’effort par un verre de champagne. Il peut se prendre au bar, notamment en pays anglo-saxons dans les wine-bars, qui existaient déjà à l’époque victorienne mais dont la vogue s’est renouvelée à partir des années 1970, surtout à Londres où ils sont fréquentés par les gentlemen de la City, qui ont le choix entre la consommation au verre et le partage d’une bouteille entre amis. Il peut se prendre aussi au bureau, accompagné ou non de sandwichs et d’amuse-gueule, la pause champagne se substituant alors avantageusement à la « pause café ». Une autre rémission appréciée est celle que s’accordent dans un salon de thé les chalandes des grands magasins et boutiques de toutes sortes. Le champagne y remplace parfois le thé, comme d’ailleurs dans les cinq à sept ou goûters de dames.
Des fleuves de champagne enfin, on l’a évoqué plus haut, sont bus lors des réceptions de mariage et cérémonies familiales diverses, vins d’honneur, mondanités et autres festivités tenues à des heures qui ne sont en général pas les plus propices à l’appréciation d’un grand vin, mais sans que cela soit d’une importance extrême, l’attention des participants étant davantage attirée par d’autres considérations. À noter que dans ce genre de manifestation le champagne est plus facile à servir que les boissons nécessitant de l’eau, comme le whisky.
Quel champagne boire dans ces diverses occasions ? Un brut sans année, sans dominante particulière, sera toujours à sa place, sans recherche de raffinement puisque ce sont essentiellement son pouvoir rafraîchissant et euphorique et sa faculté de favoriser les relations sociales qui sont en cause. Rien n’empêche, néanmoins, de choisir le type le plus approprié. Pour l’apéritif, on préférera généralement un champagne peu corsé, un blanc de blancs ou un crémant, et ce sera même une nécessité si un repas au champagne a lieu ensuite, faute de quoi son successeur immédiat pourrait sembler manquer de caractère. On pourra aussi tenir compte de divers facteurs, comme par exemple la saison, qui fera préférer en été un champagne moins corsé qu’en hiver. On choisira un champagne dosé chaque fois qu’il sera prévu des gâteaux ou sucreries, ou, plus généralement, lorsque le goût des buveurs l’exigera, comme c’est le cas pour les dames de certains pays et assez souvent pour les jeunes gens qui ne sont pas encore habitués au champagne.
[1] Pour un petit nombre de couverts, on pourra se contenter d’un seul champagne, brut, millésimé ou non, avec si possible un dosé pour le dessert.
[2] Si on sert du foie gras, le champagne pourra être brut ou demi-sec, selon les goûts.
[3] Si du vin entre dans la composition des sauces, ce doit être du vin de Champagne.
[4] Si le deuxième service comporte un millésimé, celui du troisième service sera un millésimé plus ancien.
[5] Les sucs de la viande combattent la dureté d’un vin, si bien qu’un millésimé ancien n’est pas indispensable avec un rôti, mais il s’accorde bien avec lui et il est à sa place au troisième service. Edouard de Pomiane écrivait en 1922 : Un Champenois qui possède un bon 1894 ou un bon 1904 vous le servira avec le rôti ; celle bouteille vaudra tous les bourgognes à cette place usurpée,POMIANE (Dr Edouard de). Bien manger pour vivre. Paris, 1922
[6] On prendra un nouveau champagne s’il y a un plateau de fromages susceptibles de le mettre en valeur. Sinon, on restera au champagne du service précédent ou, s’il s’agit d’une pâte persillée servie en fromage unique, on l’accompagnera du champagne dosé prévu pour le dessert.
[7] PÉRIGORD (A.B. de). .Nouvel almanach des gourmands dédié au ventre. Paris, 1825.
[8] FORBES (Patrick). Champagne. The usine, thé land and thé people. Londres, 1967.
[9] BAIN (George). Champagne is ,for breakfast. Toronto, 1972.
[10] RAISSON (Horace). Gode Gourmand. Paris, 1829.
[11] GRIMOD de la REYNIÈRE (Laurent). Almanach des gourmands. Paris, 1803-1812.
[12] CHEVALIER (Maurice). Môme à cheveux blancs. Paris, 1969.
[13] PEYNAUD (Emile). Le Goût du vin. Paris, 1980.