UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Comment rafraîchir la bouteille de champagne ?

Avant d’ouvrir la bouteille de champagne, il convient de la rafraîchir. L’usage de refroidir le vin est très ancien, puisque Xénophon disait qu’il était nécessaire de conserver de la neige pour abaisser en été la température du vin, faute de quoi il ne pourrait être bu avec plaisir [1]. En France, c’est Henri III qui a introduit à sa table l’usage de boire frais, avec de la glace mêlée au vin, ce qui se faisait encore au XVIIe siècle. Boileau écrivait dans sa troisième satire : Mais, qui l’auroit pensé ? / Pour comble de disgrâce, / Par le chaud qu’il faisoit / Nous n’avions pas de glace. Et dès les débuts du champagne, on le sait, on le servait après l’avoir rafraîchi. Le frère Pierre écrivait dans les années 1720 : Pour trouver dans le Vin de Champagne tout le mérite qu’il peut avoir, il faut le sortir de la cave un demi quart d’heure seulement avant de le boire, le mettre dans un sceau avec deux ou trois livres de glace [2].

Techniquement, cette précaution apparaît comme parfaitement fondée à condition d’éviter l’excès. Du point de vue organoleptique, comme l’explique Emile Peynaud, les températures très basses, au-dessous de 6 ou 8°, anesthésient littéralement les papilles, mais il constate qu’un vin blanc sec peut paraître trop acide à 18° alors qu’à 10° l’acidité n’est plus qu’une fraîcheur agréable, et il note : Le gaz carbonique a tendance à se dégager quand la température s’élève. Le champagne, les vins mousseux sont versés très froids dans les flûtes pour limiter le dégagement du gaz ; c’est seulement ainsi qu’ils sont agréables [3]. On peut ajouter que si le champagne est tiède, l’abondance exagérée de la mousse est source de difficultés à l’ouverture de la bouteille.

On considère généralement que le champagne doit être servi entre 6 et 9°, et on peut admettre, compte tenu de son réchauffement dans le verre, qu’il est bu alors dans de bonnes conditions entre 8 et 13°. Selon Emile Peynaud, en effet, dans une salle à 21 °, quand on le verse, le champagne se réchauffe instantanément dans le verre de 2 à 3°, puis ensuite d’environ 1° toutes les trois minutes et à partir de 10°, d’environ 1° toutes les six minutes.

On pourra servir à 10, 12° les champagnes corsés, les rosés, les millésimés, les vieux champagnes dont l’acidité a évolué, si on veut développer leur bouquet ; mais on perdra beaucoup de leur caractère champagne. À l’inverse certaines personnes estiment qu’il faut servir entre 4 et 6° les champagnes secs et demi-secs. Il est de fait que la saveur sucrée s’estompe aux basses températures, mais si on a choisi pour une circonstance donnée un champagne largement dosé, c’est parce qu’il a en tant que tel une fonction à remplir. Il faut être logique et le mettre à même de jouer son rôle en le servant à la température des bruts plutôt que d’y faire obstacle en le refroidissant exagérément, comme au XIXe siècle où il était normal de le faire car le champagne était alors terriblement édulcoré.

Ce que l’on évitera à tout prix, c’est de servir le champagne frappé. L’expression a changé de sens. Pour le Grand Vocabulaire François, au XVIIIe siècle, on dit que du vin est frappé de glace pour dire qu’on l’a fait rafraîchir dans la glace durant quelque moment. Il s’agissait bien de rafraîchir, et on employait pour ce faire un mélange d’eau et de glaçons, ceux-ci venant en flottant frapper de glace la bouteille de champagne. Au XIXe siècle au contraire, on l’a vu, le champagne frappé est devenu, tel que le décrit aujourd’hui le dictionnaire Larousse 3 volumes, un champagne refroidi avec de la glace pilée disposée autour de la bouteille. Le champagne est ainsi à une température de 2 à 3°, ou même moins si on ajoute à la glace du nitrate de potasse comme on le faisait à la Belle Epoque. Toute appréciation des qualités du vin est devenue impossible et la mousse est éteinte.

Les producteurs ont dû lutter contre ces mauvaises habitudes, qui ne subsistent guère aujourd’hui que dans boîtes de nuit de dernier ordre. Voici ce que raconte à ce sujet Maurice de Waleffe : Le marquis de Polignac, pour le centenaire de la maison de champagne fondée par sa grand-mère Pommery présida un banquet de 300 couverts comme on n’en voit guère. Du marquis de Polignac et du comte de Mun, président de Veuve Clicquot, je m’attirais une petite leçon que j’ai retenue : J’aime, leur disais-je, vos vins de Champagne, mais servis frappés. - Vous faites erreur, me rétorquèrent-ils. Le champagne doit se boire frais, mais non glacé. La glace tue le bouquet vin [4].

Pour rafraîchir une bouteille de champagne la meilleure méthode est sans conteste celle du seau à rafraîchir appelé universellement seau à champagne même s’il est utilisé pour d’autres vins. On le remplit, jusqu’à 7 centimètres du bord environ, d’eau froide contenant la moitié de son volume de glaçons en suspension, le liquide, dans un seau du type classique, montant jusqu’à 3 centimètres du bord. Dans une pièce à 20°, avec de l’eau à même température, la bouteille sera à 7° au bout de 40 minutes si elle sort d’une cave à 11°, près deux bonnes heures si elle était à la température de la pièce. À noter que certaines bouteilles spéciales nécessitent un temps de refroidissement sensiblement supérieur. Le seau à champagne a l’avantage de refroidir progressivement la bouteille et de la garder ensuite à la même température, pourvu que l’on remplace les glaçons quand ils sont fondus, si nécessaire. Ils subsistent d’ailleurs pendant longtemps. Dans une pièce à 20°, avec une bouteille à la même température plongée dans un seau rempli à 50% de glace, celle-ci ne disparaît qu’au bout de 2 h 30 à 2 h 45 et l’eau est encore à 4°.

Il existe toutes sortes de seaux à rafraîchir, en vermeil, en argent, comme ceux que Monseigneur le Dauphin avoit fait faire pour rafraîchir du vin sur sa table  [5], en métal doré, argenté ou laqué, en étain ou en acier inoxydable, en cristal ou en verre, etc. On fait aussi des seaux en faïence ou en porcelaine, dont l’origine remonte au temps du Roi Soleil lorsque celui-ci avait dû faire fondre son argenterie pour financer ses campagnes. Il existait aussi à l’époque des rafraîchissoirs en bois pour plusieurs bouteilles, dont certains sont des pièces de musée. En cas de nécessité, tout récipient étanche peut servir au même usage. Lors du séjour à Reims du vainqueur de la guerre de 1870, le roi de Prusse Guillaume Ier, en septembre 1870, dans la salle du Tau, deux tonneaux défoncés remplis de glace fréquemment renouvelée tenaient au frais les bouteilles de vin de Champagne, dont le roi et ses hôtes usaient largement [6].

Certains seaux permettent de loger un magnum, d’autres deux bouteilles, d’autres même, utilisés surtout dans les établissements de nuit de province, sont prévus pour la demi-bouteille et le quart. Il en est de triangulaires, ou qui sont entourés d’une sorte de satellite percé d’encoches servant à disposer les verres à champagne. On en trouve qui sont munis d’un long pied, incorporé ou non, ce qui permet de les placer à côté de la table qui se trouve ainsi dégagée ; c’est une bonne formule car le seau a le désavantage d’être encombrant.

À défaut de rafraîchissoir, on peut utiliser sans inconvénient le réfrigérateur ; il suffit de le faire avec discernement. On placera le champagne dans la zone de l’appareil dont le degré de froid correspond à celui que l’on veut obtenir, couché de préférence afin d’éviter des différences de température entre les parties hautes et basses de la bouteille. Le rafraîchissement a l’inconvénient d’être plus lent qu’avec le seau à glace. Pour un champagne sortant d’une cave à 11°, on devra compter deux heures et demie de séjour au réfrigérateur pour obtenir la température convenable, et trois heures s’il était dans une pièce à 20°. Il restera ensuite à la même température sans que l’on ait à s’en occuper, mais dès qu’il sera sur la table, il commencera à se réchauffer, ce qui n’aurait pas été le cas dans le seau à glace. Pour pallier cet inconvénient, on peut le mettre dans un bac de table isolant, thermo-champagne ou glacette, aussi pratique qu’attrayant. Pour le pique-nique, la glacière portative et le sac isolant jouent le même rôle. Il existe aussi des bacs avec deux parois, dont seule l’extérieure est isolante, pouvant servir de rafraîchissoirs grâce à des accumulateurs de froid amovibles placés entre les parois. Il est commode d’avoir quelques bouteilles de champagne au frais dans son réfrigérateur. Frédéric Dard raconte volontiers l’anecdote suivante. Recevant la visite du chanteur Mort Schuman, il lui demande : « Que veux-tu boire, du champagne ? - Parfait, mon vieux. Bon, je mets la bouteille au frigidaire. » Et Mort Schuman de répliquer : « Et en attendant que ça frappe, qu’est-ce qu’on va boire ? »

On peut laisser les bouteilles dans le réfrigérateur si nécessaire plusieurs semaines, voire quelques mois, à condition que la porte de l’appareil ne soit pas ouverte et fermée à tout moment car chaque fois il se produit ainsi des changements de température qui, à la longue, peuvent être nuisibles au champagne. Le problème est le même pour les armoires froides des restaurants. Le frigo-bar de la chambre d’hôtel et le cellier d’appartement jouent le rôle du réfrigérateur, sans le risque ci-dessus signalé.

En cas d’urgence, peut-on mettre quelque temps la bouteille de champagne dans le congélateur ou dans le compartiment à glace du réfrigérateur ? Pour les Champenois, la réponse est nettement négative, en application du principe que, selon eux, le vin ne doit pas être refroidi trop brusquement. Jamais dans le congélateur, lit-on dans un document d’information du C.I.V.C.. Pour le Bordelais Emile Peynaud, par contre, cela peut se faire sans inconvénient. Il écrit en effet que pour refroidir une bouteille, on a beaucoup discuté des mérites et défauts respectifs du seau à glace, du séjour court dans un congélateur ou plus prolongé dans un réfrigérateur, mais que des expériences méticuleuses montrent qu’à la condition d’obtenir le même niveau thermique à moins de 1° près, il n’y a aucune différence gustative significative selon ces trois modes de refroidissement entre des bouteilles d’un même vin blanc ou d’un même champagne .

Où est la vérité ? Au pied des Pyrénées ? Dans les plaines de Champagne ? La sagesse est pour l’utilisateur de s’en remettre à ses propres observations. En tout cas, s’il pense pouvoir utiliser le congélateur, qu’il n’y oublie surtout pas ses bouteilles, car devenir solide ne serait-ce que quelque temps, risque de nuire sérieusement au champagne. Voici ce que raconte à ce sujet André Simon : C’est au Plaza Hôtel à Buenos Aires, en 1908, que j’ai vu la bouteille de champagne la plus froide. Le garçon déboucha la bouteille très calmement, sans un bruit ; mais quand il essaya de servir le vin, pas une seule goutte ne sortit. Le vin était congelé dans le goulot de la bouteille. Quand il fut enfin servi, le vin était glacé, amer et tout à fait imbuvable [7].
Une méthode originale pour rafraîchir le champagne est celle que Jules Verne prête à Phileas Fogg qui, dans Le Tour du monde en 80 jours, ouvre en ballon une bouteille que Passe-Partout a fait rafraîchir avec de la neige qu’il a ramassée en frôlant un pic des Alpes !

Il faut noter que la glace n’est pas indispensable, sauf pour les inconditionnels du froid, si on a le bonheur d’avoir une vraie cave à 10 ou 11°, à condition d’écouter Monselet qui écrit que le champagne veut, à défaut de glace, n’être remonté de la cave que juste au moment de paraître sur la table  [8]. C’est ce que font souvent les Champenois.

Notes

[1XENOPHON. Les Choses mémorables de Socrate.

[2PIERRE (Frère). Traité de la culture des vignes de Champagne, situées à Hautvillers, Cumières, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, d’après un manuscrit rédigé par le Frère Pierre, élève et successeur de Dom Pérignon, appartenant à Mme la comtesse Gaston Chandon de Briailles et déchiffré par M. le comte Paul Chandon Moët. Épernay, 1931.

[3PEYNAUD (Emile). Le Goût du vin. Paris, 1980.

[4WALEFFE (Maurice de). Quand Paris était un paradis. Paris, 1947.

[5SAINT-SIMON. Ecrits inédits, publiés par M.P. Faugère. Paris. 1880.

[6BAZIN (Hippolyte). Une vieille cité de France, Reims. Reims, 1900.

[7SIMON (André). The History of champagne. Londres, 1962.

[8MONSELET (Charles). Les Lettres gourmandes. Paris, 1877.