Dans un verre à gobbler rempli de glace pilée, versez une cuillerée de curaçao et une autre de marasquin, remplissez de Saint-Marceau sec, remuez. Pour servir, ajoutez sans remuer quelques gouttes de bonne crème de vanille [1].
Le supplément de 1877 du Dictionnaire de la langue française de Littré donne l’éthymologie du mot comme obscure. Elle serait au contraire parfaitement claire si on s’en réfère à Charles Monselet qui, dans ses Lettres gourmandes, parues la même année, écrit : J’ai reçu autrefois la visite de Soyer, le fameux cuisinier du Reform Club de Londres, l’inventeur du breuvage glacé qui porte son nom.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle est apparu le sorbet au champagne, mélange battu de champagne et de sucre. Il était alors servi au cours des banquets, en Europe et en Amérique, pour raviver l’appétit, remplaçant le coup du milieu qui se pratiquait depuis longtemps avec de l’eau-de-vie mais dont le Bréviaire du gastronome disait, aux environs de 1870, que dans beaucoup de maisons on l’avait remplacé par des sorbets. Version aristocratique du trou normand, la coutume a survécu en Champagne et a même été adoptée à l’extérieur pour les banquets de prestige, comme aux fêtes de Persépolis où on a servi un Sorbet au vieux champagne fait avec du Moët et Chandon 1911, ou dans les palaces londoniens lors du mariage du prince Charles d’Angleterre. Voici la recette du Sorbet au champagne de Barrier, grande table de Tours :
Ajouter du sirop de 32° à un excellent champagne demi-sec jusqu’à ce que la densité au pèse-sirop Baumé soit de 17° environ. Ajouter également 2 jus de citron à la composition. Glacer modérément à la sorbetière. Le sorbet doit avoir une apparence blanche et légèrement pâteuse, il doit fondre facilement [2].
En dessert, chez Lasserre, figure à la carte un Sorbet au Champagne rosé et aux pétales de rose. Le sorbet au champagne est parfois remplacé par le sorbet au marc de champagne, dont il se vend une version industrielle dans des contenants ayant la forme d’une petite bouteille de champagne. Il faut citer aussi le Bellini, granité au champagne comportant des tranches de pêche, inventé dans les Années folles par le barman de l’Excelsior de Venise [3] et qui faisait écrire à Sir Cecil Beaton dans Les Années heureuses, à propos de sa première rencontre avec Greta Garbo : Ayant ingurgité beaucoup de Bellinis, nous avons improvisé des danses sauvages, fait des folles imitations, joué des charades ; en bref, nous nous étions conduits comme si nous nous connaissions depuis toujours.
Pour beaucoup d’amateurs, le champagne est le breuvage idéal et, en particulier, le meilleur des apéritifs. Le combiner avec d’autres produits est une erreur, voire une hérésie, car on perd alors la perception de l’essentiel de ses qualités. Cela ruine un bon champagne, écrivait Frank J. Prial, dans le New York Times Magazine du 20 novembre 1977. Les caractères organoleptiques du champagne sont en cause, mais aussi son aspect. À une récente réception de mariage, en Angleterre, on a même vu un excellent champagne devenu vert car on y avait ajouté du sirop de menthe ! Les producteurs partagent en général ce point de vue mais il n’en a pas toujours été ainsi puisque dans la première partie du XXe siècle, avant qu’ait été établie la réglementation de l’appellation d’origine, on en trouvait qui vendaient du champagne étiqueté Kola-Champagne, précurseur à sa manière du Coca-Cola, ou Amer Champagne, ou encore L’Aiglon-Apéritif-Exquis-Quinquina-Pur Champagne !
Quoiqu’il en soit, nombreux sont ceux qui aiment les mélanges à base de champagne, celui-ci ayant la vertu de magnifier l’ensemble et... de le rendre plus onéreux.
La cup, qui date du XIXe siècle, est un mélange de champagne, de sucre éventuellement, et de jus de fruits, servi dans un grand verre ou dans une vaste coupe destinée à cet usage. C’est la préparation qui nuit le moins au champagne, encore que dès 1899 Feuerheerd regrettait que l’on puisse préférer la champagne cup à la real thing, au champagne véritable [4].
Pour la Champagne Cup classique, on ajoute à une bouteille de champagne le jus de deux oranges, 15 cl de jus d’ananas et trois morceaux de sucre. La cup la plus répandue est cependant le Buck’s Fizz, connu en Italie, et parfois en France, sous le nom de Mimosa. C’est un mélange de deux tiers de champagne et d’un tiers de jus d’orange, avec éventuellement une cuillerée de sirop de grenadine. Le Buck’s Fizz a été créé en 1921 par Malachy McGarry, barman du Buck’s Club fondé à Mayfair par Herbert Buckmaster.
La cup peut se faire avec d’autres jus de fruits. On peut lui ajouter le fruit lui-même, ou encore utiliser celui-ci pour remplacer le jus de fruits comme le fait à Mionnay Alain Chapel avec de fines tranches de pêches bien mûres. Si les fruits sont utilisés en grande quantité, la cup devient un dessert.
Le punch au champagne est une très vieille institution tombée en désuétude. Legrand d’Aussy en parlait ainsi : Depuis la paix faite en 1781 avec l’Angleterre, nous avons adopté une boisson qui est propre à ce peuple étranger, et qu’il a nommée punch. L’haleine forte que laisse l’eau-de-vie dont il est composé l’a fait rejeter par les femmes. Or toute boisson que proscriront les femmes ne réussira jamais en France. Déjà dans la plupart des maisons où quelquefois on en sert, on y emploie du vin de champagne, au lieu d’eau-de-vie. En réalité cette habitude a une origine antérieure, ainsi d’ailleurs que l’introduction du punch sur le continent, puisque dans ses Mémoires Casanova notait vers 1740 qu’une de ses maîtresses lui avait écrit : Tu ne saurais t’imaginer combien nous sommes devenues folles après avoir pris du punch au vin de Champagne.
Par un échange heureux, si le punch britannique est venu réjouir les Français, le champagne est venu en Angleterre s’incorporer au punch d’origine. Au début du XIXe siècle, le Prince Régent se faisait préparer un punch venu vite célèbre sous le nom de Regent’s Punch. On utilisait pour le faire 3 bouteilles de champagne, 2 de madère, 1 de vin du Rhin, 1 de curaçao, un quart de brandy, une pinte de rhum et 2 bouteilles d’eau de Seltz, le tout relevé de quatre livres de raisins secs, d’oranges de Séville, de citrons et de sucre candi blanc, et dilué dans un thé vert [5].
Le 7 février 1877, le Vigneron champenois donnait du punch au champagne la recette suivante : Prendre un ananas, le découper par tranches fines, saupoudrer fortement avec du sucre candi pulvérisé, verser sur le tout une bouteille de vin de Mailly, Sillery ou Ay sec, une bouteille de bon et vrai cognac fine champagne, puis chauffer le tout au bain-marie, servir très-chaud et boire de même.
Le Black-Velvet, appelé aussi le Bismarck, est un mélange de champagne et de stout. Pour Youngman Carter, la proportion normale est d’une demi-bouteille à un quart de Guinness : un remède inestimable contre la gueule de bois matinale [6]. Pour Cyril Ray, la meilleure proportion est moitié champagne, moitié stout [7], c’est une version aristocratique du Shandy, chère à Somerset Maugham.
Le Black-Velvet, bu traditionnellement avec les huîtres en Grande-Bretagne, où il est très populaire, est cependant condamné par beaucoup de véritables amateurs de champagne. Le professeur George Saintsburys écrivait en 1920 quentre les saveurs du stout et du champagne n’y a pas de liaison possible. Le premier écrase tout simplement second, et tout ce que fait le vin est de rendre la bière plus intoxicante et plus coûteuse. Donc la chose est au premier abord vicieuse et vulgaire [8], opinion que Cyril Ray, connaisseur champagne s’il en est, juge cependant snobbish.
Il y a une foule de cocktails au champagne, ou coquetels, comme on dit au Québec, généralement agréables pour le buveur, toujours préjudiciables au champagne qui y perd sa personnalité. Frank J. Prial, dans l’article précité, qu’il a intitulé Society for the prevention of cruelty to champagne (Société pour la prévention de la cruauté envers le champagne), s’élève contre le cocktail au champagne qui ruine le goût de celui-ci en ajoutant des amers.
Certaines de ces boissons ont une histoire, comme le Cannonball, connu aussi comme le French 75 par allusion aux sèches détonations du canon français de 75 dont on a dit qu’il avait gagné la première guerre mondiale. Créé aux Indes entre les deux guerres par les lanciers du Bengale, il se compose de champagne, gin, citron et sucre. D’autres ont été inventés pour des personnages en renom, comme le Viens me chercher (champagne, brandy, jus d’orange et grenadine) que le barman du Ritz des années 1920, Frank Meier, a créé pour Hemingway. Beaucoup sont pleins de fantaisie, comme le Cocktail George V avec de l’abricot brandy, le Champagne Blue avec du curaçao bleu, le Champagne Madère avec du... madère, d’autres encore avec du rhum, de la vodka et même du whisky ; d’après Jules Romain, en 1908 déjà, on buvait à la Closerie des Lilas des coupes de champagne-whisky [9].
Parmi les cocktails au champagne les plus classiques, on trouve le Champagne Orange et le Champagne-Cocktail. Les proportions du Champagne Orange sont, pour 3/4 de bouteille de champagne, de 4 oranges, 3 cuillers à dessert d’extrait d’orange, 1 verre à liqueur de cognac, 4 morceaux de sucre [10]. Le Cocktail au champagne ou Champagne-Cocktail a été lancé en 1921 par le barman de l’hôtel de Paris à Monte-Carlo, avec comme ingrédients champagne, cognac et sucre. Depuis, les formules se sont diversifiées en se multipliant, mais elles restent toutes à base de champagne, bien sûr, et de cognac, jus ou liqueur de fruits, avec souvent quelques gouttes d’angustura. Celle indiquée par Ninette Lyon dans Gastronomie Magazine N° 44 de 1975 comporte, pour un verre à champagne, un morceau de sucre, deux traits d’angustura, trois traits de cognac, le jus d’un zeste de citron, et le champagne pour garnir le verre, que l’on décore d’une fine tranche d’orange.
On peut citer aussi des cocktails dont les recettes ont été données par Curnonsky [11], l’Américognac, qui comporte 2/3 de Campari et 1/3 de cognac, dans un grand verre complété avec du champagne, le Barbotage, fait avec 1/4 de Cointreau, 1/4 de cognac, 1/4 de jus d’orange, 1/4 de jus de citron, que l’on verse dans des coupes que l’on remplit avec du champagne, le Champagne pick me up, qui se compose du jus d’une demi-orange, de 3 cl de curaçao et 3 cl de cognac que l’on met dans un grand verre que l’on complète avec du champagne, et le Champagne julep dont voici la recette : Dans un grand verre : 1 morceau de sucre, 4 feuilles de menthe fraîche, quelques gouttes d’eau, le tout écrasé au pilon. Emplir à moitié de glace pilée. Ajouter un verre de cognac et compléter avec du champagne. Décorer avec tranches d’orange et feuilles de menthe.
Alphonse Allais a accompagné son livre Le captain Cap, de 1902, de nombreuses recettes de cocktails. Pour lui, le Pick me up est, comme l’indique son nom, un ravigotant recommandé qui se faisait de son temps avec jus de citron, grenadine, kirsch et champagne. On lui doit aussi une recette de Champagne julep, avec feuilles de menthe fraîche, rhum, liqueurs et fruits de saison, et une de Champagne-Gobbler, qui tient de la cup et du cocktail au champagne et que voici : Remplissez de glace pilée un grand verre, mettez une cuillère à café de curaçao, une autre de crème de noyaux, finissez avec tisane de Saint-Marceaux. Remuez, une tranche orange, une tranche citron, fraises et fruits selon la saison. Agitez, versez sur le tout, sans mélanger, un filet de porto rouge.
Il faut enfin parler du Kir royal, version aristocratique du Kir (vin blanc et cassis, portant le nom du célèbre chanoine, maire de Dijon) appelée on ne sait pourquoi Bicyclette en Grande-Bretagne, et controversée car aux yeux de beaucoup elle consiste à faire payer au prix du champagne un vin blanc-cassis qui n’a que le privilège d’être pétillant mais qui, s’il est rafraîchissant, ne peut remplacer pour l’agrément un bon verre de champagne. Dans l’article précité de Frank J. Prial on lit que le Kir royal rend indifférent un vin qui aurait été agréable à goûter et que lourd et doux, il ne prédispose pas votre langue à apprécier les plats qui suivront.
Le choix du champagne à utiliser pour toutes ces boissons importe peu, sauf pour les cups, pour lesquelles il convient qu’il soit demi-sec et de très bonne qualité.
[1] ALLAIS (Alphonse). ouvres anthumes (Captain Cap). Paris, 1968.
[2] La Cuisine au vin de Champagne. Paris, 1970.
[3] CAUDANA (Nino) et J.C. LAURIER ; Champagne, vino dell’allegria. Rome, 1968.
[4] FEUERHEERD (H.L.). The Gentleman’s Cellar and Buller’s Guide. Londres, 1889.
[5] (TOVEY (Charles). British and foreign spirits. Londres, 1864.
[6] YOUNGMAN CARTER. Drinking champagne and brandy. Londres, 1968.
[7] RAY (Cyril). Bollinger. Londres, 1971.
[8] SAINTSBURY (Professor George). Notes on a cellar-book. Londres, 1920.
[9] (ROMAIN. Eros de Paris.
[10] AULT (Henri) et Christian MILLAU, avec la collaboration de Jean-Luc de RUDDER. Guide Julliard du champagne. Paris, 1968.
[11] CURNONSKY (Maurice-Edmond SAILLANT, dit). La France paradis du vin. Paris, 1931.