On le trouve partout ailleurs et même dans les Westerns. Dans Le Grand Sam, film de 1960 d’Henry Hataway, John Wayne, chercheur d’or, rencontrant la jolie Capucine, lui offre une coupe en lui disant : « Du champagne, une boisson digne de toi ». Il arrive même que le champagne apparaisse dans un film tiré d’une pièce dans laquelle il ne figure pas. C’est le cas, par exemple, dans La Cantatrice chauve, d’Ionesco, ou dans Le Voyage de Monsieur Perrichon, de Labiche, dans lequel le digne bourgeois au retour de la Mer de glace se remet de ses émotions avec trois gouttes de rhum dans un verre d’eau, dans la pièce, mais avec un champagne, dans le film.
Le champagne est le symbole de la vie nocturne et à ce titre il a sa place dans de très nombreux films, dans des vidéo-clips et mêmes dans des génériques comme celui de On sort ce soir, série télévisée diffusée par FR3 ans les années 1980, où il apparaît à deux reprises. Il est souvent en France, on le sait, le vin du dessert, aussi celui du dîner en tête-à-tête. Or, Henri-François Rey, dans un article du Figaro du 3 décembre 1980, notait le nombre impressionnant des repas cinématographiques qui se déroulent à la table familiale ou au restaurant. Il voyait deux raisons à ce phénomène. Tout d’abord le cinéma, qui ne manque jamais d’être un réactif sociologique, nous souligne une des particularités de nos mœurs et notre façon de vivre. En second lieu une scène de repas est finalalement chose facile pour un scénariste et un metteur en scène, une façon tout à fait « naturelle » de réunir les principaux protagonistes de l’action qui est racontée.
C’est ainsi que le film muet Tire-au-flanc, de Jean Renoir, sorti en 1928, se termine par un tête-à-tête au champagne, et que dans un des classiques du cinéma, Drôle de drame, tourné en 1937 par Marcel Carné sur un scénario de Jacques Prévert, c’est au cours d’un repas au champagne, alors que le deuxième seau et sa bouteille viennent d’arriver sur la table, que Louis Jouvet, alias Archibald, évêque de Bedford, prononce à l’adresse de Michel Simon, son cher cousin, la phrase célèbre : « Moi, j’ai dit bizarre, comme c’est bizarre ! »
Au cinéma, comme dans la vie, le champagne est bu pour son pouvoir euphorique. Dans le rôle de Sir Charles de La Panthère rose, de Blake Edwards (1963), David Niven, d’ailleurs ancien agent de la maison de champagne George Goulet, dialogue comme suit avec Claudia Cardinale, la princesse Dala : Sir Charles : « Voulez-vous un peu champagne ? » La princesse : « Je vous ai dit que je ne bois pas d’alcool ». Sir Charles : « Le champagne n’est pas de l’alcool. C’est un vin spirituel éminemment favorable au développement de l’amitié ». Elle se laisse convaincre, un premier baiser s’ensuit et Sir Charles constate : « Le champagne rapproche les extrêmes ».
Le champagne, certes, apparaît fréquemment à l’écran comme symbole de la vie facile, mais on le boit aussi, en France tout au moins, dans des milieux modestes, comme celui dépeint par Pierre Goutas dans son excellent téléfilm de 1981, Le Rembrandt de Verrière, où Henri Virlojeux campe avec son autorité coutumière un ouvrier menuisier. Le champagne coule dès le début dans l’atelier, lorsqu’il le quitte pour prendre sa retraite, fêtée ensuite chez lui... au champagne. Il coule encore lors de la réunion familiale qui termine le film et au cours de laquelle, à l’arrivée des premiers invités, la femme du héros lui crie : « Ouvre le séjour, le champagne est débouché et je n’ai pas de verres ! »
On a déjà parlé de la présence si fréquente du champagne dans les films policiers, présence à laquelle l’activité de propagande des maisons de champagne n’est pas étrangère. Si dans ses films James Bond a bu beaucoup de Dom Pérignon, dans Casino royal, en 1951, il buvait du Taittinger 1945. Quant au Saint, il boit en général du Veuve Clicquot. Le champagne peut faire aussi partie de l’action. C’est avec lui que l’on éteint le feu mis à une poupée vaudou dans le film Vaudou aux Caraïbes, tiré d’un roman policier de Gérard de Villiers, et c’est avec du champagne que dans plusieurs films on administre un soporifique aux victimes que l’on veut dévaliser ou espionner, à telle enseigne que dans l’un d’eux on entend dire à ce propos à Marthe Keller : « Cela devient d’une banalité, le coup du champagne ! »
C’est surtout dans les séries policières télévisées que coule le champagne, dans Les Aventures du Saint, dans Les Nouvelles brigades du tigre, où le commissaire Valentin (Made in U.S.A., scénario de Claude Desailly) s’attaque à l’époque de la prohibition à un lieutenant d’Al Capone envoyé en France pour organiser un réseau de commerce clandestin de champagne. Roger Moore boit beaucoup de bubbly dans les Amicalement vôtre, et il en est de même pour Robert Conrad dans les Sloane agent spécial.
Quant aux séries de Brain Clemens, Chapeaux melons et bottes de cuir, elles regorgent de champagne. Il figure au générique de l’une d’elles et, dans l’épisode intitulé Pandora, une drogue est versée dans des flûtes mousseuses pour rendre amnésique Linda, l’assistante de l’imperturbable John Steed, qui conclut chacune de ses aventures par un verre de champagne.
Le C.I.V.C. a participé dans les années 1970 au financement de la première série télévisée des Arsène Lupin réalisée par Pathé-Cinéma, avec notamment comme acteurs Georges Descrières, qui devait devenir doyen de la Comédie-Française, et Marthe Keller. Le champagne était présent dans chaque épisode, à l’image et dans le dialogue. Ainsi Virlojeux, nouveau Sherlock Holmes, invité à la table du préfet de police, s’exclamait : « Ah ! du champagne ! La France sans champagne ce serait l’Angleterre sans brouillard ! », et Roger Carel, alias commissaire Guerchard, poursuivait longuement et vainement Arsène Lupin dans les caves Pommery.
Voici quelques exemples de la mise en scène du champagne dans les films sortis depuis la dernière guerre13 :
1945. Brève rencontre, de David Lean : en dépit du champagne les héros ne succombent pas à la tentation de l’infidélité.
1949. Madame porte la culotte, de George Cukor : c’est la bouteille de champagne à la main que Spencer Tracy dialogue sur le mariage avec Katharine Hepburn.
1955. Sept ans de réflexion, de Frank Tashlin : Marilyn Monroe aide son partenaire à libérer son doigt coincé dans le goulot d’une bouteille de champagne.
1955. Les Grandes Manœuvres de René Clair : le lieutenant de la Verne (Gérard Philipe) se demande si le champagne convient à l’atmosphère de son premier tête-à-tête avec Marie-Louise (Michèle Morgan), le fait préparer par son ordonnance, puis renvoie la bouteille et, enfin, la fait revenir ; le soir, au mess des officiers du 33e dragons où il célèbre sa victoire amoureuse, il s’écrie : « Il faudra au moins vingt bouteilles de champagne pour le dîner que vous allez me donner ».
1957. L’Aigle vole au soleil, de John Ford : entre les deux guerres, à l’occasion de la rivalité entre l’armée et la marine américaines pour l’attribution des moyens aériens, John Wayne, officier de l’aéronavale, propose à son amiral de s’attaquer à la Coupe Schneider de vitesse en disant : « Nous remplirons la coupe de champagne et nous forcerons l’armée à la boire », ce à quoi l’amiral répond : « Il n’y a qu’une chose qui me gêne, pourquoi l’armée boirait-elle notre champagne ? »
1957. Le Soleil se lève aussi, de King Vidor : une dégustation de champagne y est merveilleusement décrite.
1960. Le Baron de l’écluse, de Jean Delannoy : Jean Gabin commande le champagne pour tout le monde.
1960. La Garçonnière, de Billy Wilder : dans l’escalier menant à la garçonnière où Shirley McLaine va retrouver Jack Lemmon, elle croit qu’il se suicide car elle prend pour le bruit d’un coup de feu celui d’une bouteille de champagne qu’il débouche pour tromper sa solitude.
1961. Aimez-vous Brahms, d’Anatole Litvak : Yves Montand et Ingrid Bergman dînent au champagne.
1961. Le Jour le plus long, de Darryl Zanuk : Bourvil, le maire de Colleville, accueille les Ecossais, qui viennent de débarquer en Normandie en 1944, avec son écharpe municipale et une bouteille de champagne.
1963. La Terre de la grande promesse, d’Andrzej Wajda : dans la première scène du film, trois jeunes Polonais se partagent une bouteille de champagne en buvant au succès de leurs futures entreprises.
1963. La Belle Vie, de Robert Enrico : le film comporte un travelling d’une longueur tout à fait exceptionnelle sur un seau à champagne et sa bouteille apportés par un serveur de restaurant à la table du jeune ménage en voyage de noces à Monte-Carlo.
1966. Les Demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy : on y boit du champagne et la critique en a souvent dit qu’il s’agissait d’une comédie musicale pétillante comme du champagne.
1969. Le Diable par la queue, de Philippe de Broca : entendant le bruit d’un bouchon de champagne qui saute d’une bouteille ouverte par Jean Rochefort, Yves Montand croit que c’est celui d’une arme à feu et sort son pistolet, tandis que Jean-Pierre Marielle, sous les regards complices de Madeleine Renaud, Maria Schell et Marthe Keller, s’empare d’une autre bouteille pour la monter dans sa chambre.
1971. Juste avant la nuit, de Claude Chabrol : recevant la visite de sa belle-mère, Stéphane Audran l’accueille, dans un bon mouvement, avec une bouteille du « Vin de la conciliation ».
1974. femmes femmes, de Paul Vecchiali : Hélène a tout au long du film le champagne à portée de la main ; elle le boit en vaquant à ses occupations ménagères, se défendant ainsi contre la dépression qui la guette dans sa vie ratée.
1975. Le Téléphone rose, d’Edouard Molinaro : dans le restaurant où dînent Mireille Darc et Pierre Mondy, deux serveurs maladroits s’efforcent sans succès de déboucher une bouteille de champagne et finissent par faire involontairement sauter le bouchon, arrosant les convives avec le précieux liquide.
1976. Mado, de Claude Sautet : à Michel Piccoli qui lui propose du whisky, Charles Denner répond : « N’auriez-vous pas plutôt du champagne ? »
1977. Trans America Express, d’Arthur Miller : deux jeunes gens font connaissance au wagon-restaurant autour d’une bouteille de champagne et en rapportent deux autres dans leurs compartiments mitoyens de wagon-lit, dont ils ouvrent la cloison de séparation avant de boire à leur amour naissant et... au chemin de fer.
1980. La Provinciale, film franco-suisse de Claude Goretta : après une partie de golf, un joueur offre du champagne à Nathalie Baye car, dit-il « par ces temps difficiles rien ne vaut le champagne pour se remonter le moral ».
1981. Le Bunker, coproduction télévisée franco-américaine, de Georges Schaefer Eva Braun accueille Speer dans le bunker de la Chancellerie du Reich avec une coupe, non pas de sekt, mais d’un champagne de grande marque, champagne qui servira aussi à célébrer son mariage avec Hitler, précédant leur suicide, et à réconforter les deux derniers occupants du bunker attendant l’arrivée des Russes (à noter que ce téléfilm se présente sous la forme d’une reconstitution historique).
1982. La Truite, de Joseph Losey : au Japon, Isabelle Huppert et une dame d’un certain âge dissertent, verre de champagne en main, sur l’amour et sur le sens du péché, avec, sur une table basse en laque Negoro, deux bouteilles à leur portée, l’une ouverte, l’autre en réserve.
1983. Il était une fois en Amérique, de Sergio Léone : on enterre la prohibition en sabrant des magnums de champagne.
Le palmarès est impressionnant, mais on peut regretter qu’Hitchcock n’ait pas eu, pour un de ses films de terreur, l’idée d’utiliser les caves de champagne, avec leurs galeries mystérieuses, leurs escaliers sans fin. On pourrait y procéder à des poursuites ponctuées par des explosions de bouteilles, à des combats de transpalettes, à des évasions au moyen des chaînes qui autrefois convoyaient les bouteilles. Il faut cependant noter que dans Les Enchaînés, que Hitchcock a tourné en 1946 avec Cary Grant et Ingrid Bergman, le champagne a une part essentielle dans l’évolution du suspense.
Inutile de dire que les artistes de cinéma sont aussi dans leur vie privée de fervents amateurs de champagne. Si Fernandel en vidait un magnum dans Ignace, dès 1937, si Harry Baur enlevait sa fausse barbe pour mieux le déguster dans L’Assassinat du Père Noël, si Ingrid Bergman et Humphrey Bogart en buvaient les yeux dans les yeux dans Casablanca, si Maurice Chevalier le célébrait dans Gigi en chantant The day they invented champagne, si Louis de Funès en débouchait une bouteille dans Les Grandes Vacances, si Mireille Darc et Pierre Richard en partageaient une dans Le Grand blond à la chaussure noire et, dans Le Retour du grand blond, une autre dont le bouchon a sauvé la vie d un héros en venant frapper l’œil du tueur qui venait de prendre sur sa ligne de mire, si Philippe Noiret, accusateur, et Michel Serrault, accusé, le sablaient ensemble dans Pile ou face, les photos de presse révèlent que dans les manifestations mondaines les stars boivent assidûment du champagne. Il en est de même chez elles et elles n’en font pas mystère.
Avant d’en terminer avec le septième art, il faut rappeler que le Négoce champenois et le C.I.V.C. ont fait réaliser des films de propagande sur le champagne. L’un d’eux se trouve être le premier film publicitaire de l’histoire du cinéma ; intitulé De la vigne au tonneau, il a été tourné en 1896-1897 pour le compte de la maison Moët & Chandon par les frères Lumière. Quant à la maison Mercier, elle avait organisé au 2e étage de son pavillon de l’Exposition de 1900 des séances de cinématographe où se déroulaient les travaux de nos vignes et la manutention de nos vins mousseux, écrivait le Vigneron champenois du 12 septembre 1900. Le film avait pour titre La Vie d’une bouteille de champagne depuis la grappe jusqu’à la coupe.
Sur le plan interprofessionnel, la Commission spéciale propagande du Syndicat du Commerce des Vins de Champagne (qui deviendra Syndicat de Grandes Marques, puis, en 1994, Union des Maisons de Champagne) fait réaliser en 1935 le film appelé Le Vin du bonheur dont a déjà été parlé et qui est sorti avec Les Lumières de la ville, de Charlie Chaplin. Le C.I.V.C. a fait faire en 1950 Les hommes du champagne, par Les Films du Compas (Roger Lennhardt), en 1962 Heures champenoises, par Pathé-Cinéma, en plusieurs langues, et en 1971 Connaissance du champagne, par Les Analyses cinématographiques (Sylvain Dhomme), également en plusieurs langues. De caractère éducatif et clinique, d’une durée de 24 minutes, cette version a été produite en même temps qu’une version de 10 minutes, champagne vin de France, destinée aux télévisions étrangères, et une autre de 21 minutes, Quatre saisons en Champagne, pour grand public, sortie avec Les Pétroleuses, film dans lequel jouaient Brigitte Bardot et Claudia Cardinale. En 1981 a été réalisé Bulles, par Catlyn’s Films et Cie (Catherine Lefebvre), un film de 17 minutes sur l’image du champagne, avec une version de 12 minutes pour projection dans les salles de cinéma, intitulée Champagne.