UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les lettres

Les poètes ont contribué grandement au prestige du champagne, en échange des services qu’il leur a rendus en leur fournissant une rime riche, mais également l’inspiration si on en croit Jean-Baptiste Rousseau qui, dans un commentaire sur les poèmes de l’abbé de Chaulieu, écrivait : Pour bons vers puiser, Vin champenois vaut mieux qu’eau d’Hypocrène.

Le champagne a été aussi utilisé par les romanciers dans leurs œuvres, et s’il est moins répandu, au propre comme au figuré, dans les pièces de théâtre que dans les films, il n’en est pas absent. Dans Le Canard à l’orange, la comédie à succès du Britannique William Douglas-Home, adaptée par Marc-Gilbert Sauvajon, on ne voit pas apparaître le volatile mais on boit beaucoup de champagne !

Si riche, en fait, est la littérature faisant une place au champagne, en France comme à l’étranger, qu’un livre entier lui est consacré. Il répertorie par thème, par auteur et nationalité d’auteur, ou par époque, la plupart des oeuvres littéraires qui citent le champagne. On ne donne ci dessous que quelques textes, choisis parmi les plus significatifs.

CHAULIEU

Guillaume Amfrye, abbé de Chaulieu, 1639-1720. Surnommé l’Anachréon du Temple, grand buveur de champagne, il faisait partie de ces abbés dont dit dans Les Tableaux de Paris que clercs tonsurés ils ne servent ni l’église, ni l’état et vivent dans l’oisiveté la plus suivie.

Madrigal

À Madame D * * * qui lui avoit mandé que le vin de Champagne qu’il lui avoit envoyé ne moussoit point, comme il avoit accoutumé, quand ils soupoient ensemble.

Ce n’est que pour nous seuls que mon vin moussera ;
...............

C’est de l’aimable secousse
De nos esprits enflammés,
Que naît la brillante mousse
..................

Et ce nectar précieux,
Quand il gratte, mousse et pique,
Ne tient tout ce brillant que du feu de vos yeux.

DIDEROT

Denis Diderot, 1713-1784, né à Langres, en Champagne. Dans la Correspondance littéraire publiée par Maurice Tourneux se trouve une note sur Sedaine établie par Mme de Vandeul, la fille de Diderot, par laquelle on apprend que ce dernier, et Sedaine qu’il venait féliciter pour le succès d’une de ses pièces, se mirent à expédier du vin de Champagne.

Jacques le Fataliste et son maître

Diderot fait dialoguer ses deux personnages dans une hôtellerie dont la patronne participe épisodiquement à leur conversation. - La voilà remontée, et je vous préviens, lecteur, qu’il n’est plus en mon pouvoir de la renvoyer - Pourquoi donc. C’est qu’elle se présente avec deux bouteilles de champagne, une dans chaque main, et qu’il est écrit là-haut que tout orateur qui s’adressera à Jacques avec cet exorde s’en fera nécessairement écouter... « Monsieur, dit-elle au maître, est-ce que vous nous laisserez aller tout seuls. Voyez, eussiez-vous encore cent lieues à faire, vous n’en boirez pas de meilleur de toute la route. » En parlant ainsi elle avait placé une des deux bouteilles entre ses genoux, et elle en tirait le bouchon ; ce fut avec une adresse singulière qu’elle en couvrit le goulot avec le pouce, sans laisser échapper une goutte de vin. « Allons, dit-elle à Jacques ; vite, vite, votre verre. » Jacques approche son verre ; l’hôtesse, en écartant son pouce un peu de côté, donne vent à la bouteille, et voilà le visage de Jacques tout couvert de mousse... On but quelques rasades les unes sur les autres pour s’assurer de la sagesse de la bouteille... Jacques, en la regardant avec des yeux dont le vin de Champagne avait augmenté la vivacité naturelle, lui dit ou à son maître : « Notre hôtesse a été belle comme un ange. Qu’en pensez-vous monsieur ? »

Vient ensuite une succession de contes tandis qu’apparaissent deux nouvelles bouteilles de champagne, ce qui fait pour la soirée une honnête proportion de quatre bouteilles pour trois. Le maître montre bien quelque crainte devant l’importance de la consommation, mais l’hôtesse le rassure : « Ne craignez rien, monsieur, il est loyal ; et demain il n’y paraîtra pas ».

Vient ensuite une succession de contes tandis qu’apparaissent deux nouvelles bouteilles de champagne, ce qui fait pour la soirée une honnête proportion de quatre bouteilles pour trois. Le maître montre bien quelque crainte devant l’importance de la consommation, mais l’hôtesse le rassure : « Ne craignez rien, monsieur, il est loyal ; et demain il n’y paraîtra pas ».

VOLTAIRE

François Marie Arouet, dit Voltaire, 1694-1778.

Satires

Le Mondain

....................

Chloris, Églé, me versent de leur main
D’un vin d’Aï, dont la mousse pressée,
De la bouteille avec force élancée,
Comme un éclair fait voler son bouchon
Il part, on rit, il frappe le plafond.
De ce vin frais l’écume pétillante
De nos François est l’image brillante.

....................

BYRON

George Gordon, Lord Byron, poète anglais, 1788-1824.

Don Juan
Canto I
CXXXV

....................

I’m fond of fire, and crickets, and all that,
A lobster salad, and champagne, and chat.

J’aime fort pour ma part le coin du feu, les grillons, et, ce qui va bien avec, une salade de homard, du champagne, et la conversation.

Canto XV
LXV

... They also set a glazed Westphalian ham on,
Whereon Apicius would bestow his benison ;
And then there was champagne with foaming whirls,
As white as Cleopatra’s melted pearls.

.....................

On servit aussi un jambon glacé de Westphalie qui aurait ravi Apicius ; et sur le jambon on versa le champagne mousseux, dont les bulles pétillantes étaient aussi blanches que les perles fondues de Cléopâtre.


Canto XVI
IX

.......................

The evaporation of a joyous day
Is like the last glass of champagne without
The foam which made its virgin bumper gay.

L’évanescence d’une joyeuse journée est comme le dernier verre de champagne, mais sans la mousse qui a égayé sa coupe immaculée.
Traduction A. Digeon

STENDHAL
Henri Beyle, dit Stendhal, 1783-1842.

Lucien Leuwen

Au bal à Nancy ; Lucien, 23 ans, est lieutenant au 27e lanciers. Le souper finissait, tout brillant de vin de Champagne ; il avait porté plus de gaieté et de liberté, sans conséquence dans les manières de tous. Pour notre héros, il était exalté par les choses assez tendres que, sous le masque de la gaieté, il avait osé adresser à la dame de ses pensées.

BALZAC

Honoré de Balzac, 1799-1850. Il existe un lien entre le champagne et la fameuse robe de chambre de Balzac. Dans Histoire de ma vie, George Sand écrit en effet : Un soir que nous avions dîné chez Balzac d’une manière étrange, je crois que cela se composait de bœuf bouilli, d’un melon et de champagne frappé, il alla endosser une belle robe de chambre toute neuve, et voulut sortir ainsi costumé, un bougeoir à la main, pour nous reconduire jusqu’à la gare du Luxembourg.

La Peau de chagrin

... Déchaînés comme les chevaux d’une malle-poste qui part d’un relais, ces hommes, fouettés par les piquantes flèches du vin de Champagne impatiemment attendu, mais abondamment versé, laissèrent alors galoper leur esprit dans le vide de ces raisonnements que personne n’écoute, se mirent à raconter ces histoires qui n’ont pas d’auditeurs, recommencèrent cent fois ces mêmes interpellations qui restent sans réponse.

La Cousine Bette

Dans la chambre de Valérie, la table est chargée des restes d’un dîner fin et même deux bouteilles à long bouchons et une bouteille de vin de Champagne, éteinte dans sa glace, jalonnent les champs de Bacchus cultivés par Vénus.

Voir aussi le Balzac le baptême au champagne de Lucien de Rubempré dans Les Illusions perdues et Nuncingen faisant de la spéculation avec le champagne dans La Maison Nuncingen.

LES FRÈRES GONCOURT

Edmond Huot de Goncourt, 1822-1896, et Jules Huot de Goncourt, 1830-1870.

Manette Salomon

Au restaurant Philippe, une nuit de mi-carême. Les folies débitées par Anatole couraient à la ronde avec les bouteilles de champagne passant de main en main comme des seaux d’incendie. On mangeait, on pouffait. Les nappes buvaient de la mousse, des hommes pleuraient de rire, des femmes se tenaient le ventre, des pierrots se tordaient. Le jour se lève ; Anatole ouvre la fenêtre et s’adresse aux premiers passants : -Une, deux, trois, ouvrez le bec, mes enfants ! cria Anatole ; et saisissant deux bouteilles de champagne, il les vida sans voir dans des gosiers vagues qui buvaient comme des trous. Chaque table se mit à l’imiter et, des trois fenêtres du restaurant, le champagne ruissela quelque temps sans relâche, ainsi qu’un ruisseau d’orage perdu, à mesure, dans une bouche d’égoût. La foule s’amassait, se bousculait, il en sortait des hourras, des cris, des têtes qui se disputaient une gorgée. La rue ivre se ruait à boire ; le jour montait.

Nul n’ignore que l’Académie Goncourt, fondée par décision testamentaire d’Edmond de Goncourt, boit à ses déjeuners, et en particulier à celui qui précède chaque année la remise du Prix Goncourt, du champagne blanc de blancs, cuvée Drouant, selon une tradition instaurée par Léon Daudet vers 1920. À noter que le jury du Prix Renaudot déjeune aussi chez Drouant et boit également du blanc de blancs.

ZOLA

Emile Zola, 1840-1902.

Nana

... Ce dimanche-là, par un ciel orageux des premières chaleurs de juin, on courait le Grand Prix de Paris au bois de Boulogne... Des lunchs s’organisaient en plein air... C’était un étalage de viandes froides, une débandade de paniers de champagne, qui sortaient des caissons, aux mains des valets de pied. Les bouchons partaient avec de faibles détonations, emportées par le vent... Mais bientôt on se pressa surtout devant le landau de Nana. Debout, elle s’était mise à verser des verres de champagne aux hommes qui la saluaient... Nana jetait à chacun un rire, un mot drôle. Les bandes de buveurs se rapprochaient, tout le champagne épars marchait vers elle ; il n’y avait bientôt plus qu’une foule, qu’un vacarme, autour de son landau ; et elle régnait parmi les verres qui se tendaient, avec ses cheveux jaunes envolés, son visage de neige, baigné de soleil. Alors, au sommet, pour faire crever les autres femmes qu’enrageait son triomphe, elle leva son verre plein, dans son ancienne pose de Vénus victorieuse.

MAUPASSANT

Guy de Maupassant, 1850-1893.

Le Moyen de Roger

Deux jeunes mariés, au cours du dîner en tête-à-tête faisant suite à la cérémonie nuptiale. Au dîner elle fut charmante. Et, pour m’enhardir, je renvoyais mon domestique qui me gênait... Elle me dit : « Je voudrais un peu de champagne ». J’avais oublié cette bouteille sur le dressoir. Je la pris, j’arrachais les cordes et je pressais le bouchon pour le faire partir. Il ne sauta pas. Gabrielle se mit à sourire et murmura : « Mauvais présage ». Je houssais avec mon pouce la tête enflée de liège, je l’inclinais à droite, je l’inclinais à gauche, mais en vain, et, tout à coup, je cassais le bouchon au ras du verre.

Gabrielle soupira : à Mon pauvre Roger. Je pris un tire-bouchon que je vissais dans la partie restée au fond du goulot. Il me fut impossible ensuite de l’arracher ! Je dus rappeler Prosper. Ma femme, à présent, riait de tout son coeur et répétait : « Ah ! bien... ah ! bien... Je vois que je peux compter sur vous ».

Monsieur Parent.

.. Sa fureur brutale s’était répandue dans cet effort, comme la mousse d’un vin débouché...

SHAW

George Bernard Shaw, écrivain irlandais, 1856-1950, Prix Nobel de littérature 1925.

Candida
(EXTRAIT DE L’ACTE III)

LEXY : Monsieur Burgess a été assez aimable pour nous offrir un souper vraiment splendide au Belgrave...
PROSERPINE : Nous avons eu du champagne. je n’en avais jamais goûté avant — Je me sens toute étourdie.
MORELL, surpris : Un souper au champagne ! Voilà qui est fort généreux...
CANDIDÀ à Proserpine : Vous ne voulez pas dire que vous avez bu du champagne ?
PROSERPINE, l’air entêté : Si, je suis contre la bière, pas contre le champagne14.

Traduction de Marie Dubost.

PAUL FORT

Paul Fort, poète français né à Reims, élu en 1912 prince des poètes, 1872-1960.

Ballades Françaises et Chroniques de France
Canzone de la plus illustre élévation

La terre est grande. La France est petite. Qui d’elles me glorifiera ? Bon ! La France me suffira.
Au fait, oui ! La terre est petite, et c’est la France qui est grande. Ses grands hommes sont forêts d’ifs : or voilà tout l’impératif...
À l’apéritif, je l’invite ! Fi !-fille de Reims-en-Champagne, elle ne boit que du champagne.
J’ouïs déjà me huer Bordeaux (entendez-vous les Huon de Bordeaux ?) - Mâcon, Dijon ces villes d’eaux :
« Partout, « Elle » aime le bon vin ! » — Le champagne est le vin des vins.

APOLLINAIRE

Wilhelm Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire, 1880-1918.

Calligrammes
Le vigneron champenois

Le régiment arrive
Le village est presque endormi dans la lumière parfumée
Un prêtre a le casque en tête
La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie
Les ceps de vigne comme l’hermine sur un écu
Bonjour soldats
je les ai vus passer et repasser en courant
Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente
Vous resterez quelques jours et puis remonterez en ligne
Échelonnés ainsi que les ceps de vigne
J’envoie mes bouteilles partout comme les obus d’une charmante artillerie.

COLETTE

Sidonie Gabrielle Colette, de l’Académie Concourt, 1873-1954.

Mitsou ou Comment l’esprit vient aux filles

Pendant la guerre, Mitsou et « son » lieutenant dînent au restaurant Lavoie et hésitent sur le choix des vins.
MITSOU : Ça mousse, le bourgogne ?
ROBERT : Quand on l’y force, et encore... je vois bien que nous allons en arriver au champagne.
MITSOU : C’est ça, c’est ça ! Un champagne qui n’a pas de goût ! (Le sommelier, visible et présent, a cessé de s’intéresser à la conversation).
ROBERT, scandalisé : Qui n’a pas de goût ! ! ! Où vous a-t-on élevée, Mitsou ?...
Très jeunes, très graves, ils se taisent. Elle le contemple, mais lui l’observe. La griserie manque, — elle va venir. Justement voici le champagne avant le homard : pendant que Mitsou suce la mousse en clignant des yeux, il boit d’un trait son verre.

MITSOU, riant : C’est meilleur que le pinard, hein ?

SEEGER

Alan Seeger, poète américain, tué en Champagne pendant la première guerre mondiale dans la Légion étrangère, 1888-1916 ; Champagne, écrit en Champagne en juillet 1915, est considéré comme son chef-d’œuvre.

Champagne (1914-7975)

I In the glad revels, in the happy fêtes,
When cheeks are flushed, and glasses gilt and pearled
With the sweet wine of France that concentrates
The sunshine and the beauty of the world,

II Drink sometimes, you whose footsteps yet may tread
The undisturbed, delightful paths of Earth,
To those bloose blond, in pious duty shed,
Hallows the soil where that same wine had birth.

.......

I Dans les joyeuses fêtes, dans les réunions heureuses,
Quand les joues sont colorées et les verres dorés et perlés
Avec le doux vin de France qui concentre
Les rayons du soleil et la beauté du monde,

II Buvez quelquefois, vous dont les pas peuvent encore fouler
Les calmes, délicieux chemins de la Terre,
À ceux dont le sang, versé dans un pieux devoir,
Sanctifie le sol où ce même vin est né.

HEMINGWAY

Ernest Miller Hemingway - romancier américain - 1898-1961 - Prix Nobel de littérature 1954.

Le Soleil se lève aussi

À Paris ; Brett rentre chez elle avec le comte. Son ami vient les rejoindre au salon, mais le comte n’y est plus.

Cathédrale de Reims vitrail du champagne.

Je l’ai envoyé chercher du champagne, dit Brett, il adore aller chercher du champagne... On sonna à la porte. C’était le comte. Derrière lui, le chauffeur portait un panier de champagne.
Une bouteille ayant été dûment rafraîchie, le comte l’a débouchée et servie.
C’était un champagne étonnant. — Ça, par exemple, c’est du vin. Brett leva son verre. Si on buvait à quelque chose. « À la royauté ! » Ce vin est trop bon pour les toasts, ma chère. Il ne faut pas mêler les émotions avec un vin comme ça. On perd le goût.

TROYAT

Lev Tarassov dit Henri Troyat - 1911 - Prix Goncourt 1938.

Tendre et violente Elizabeth

... Pour le dîner, Gloria avait commandé au chef un menu spécial, mi-russe, mi-français. Pierre monta de la cave une bouteille de son champagne le plus précieux. Les autres tables, avec leur petit bordeaux, leur mâcon léger et leurs fades eaux minérales faisaient pauvre figure auprès de ce guéridon de luxe où se consommait le vin pétillant de la joie.

Une extrême amitié

Jean et Madeleine vont dîner au restaurant pour fêter le quinzième anniversaire de leur mariage. Le collier scintillait au cou de Madeleine. Son regard, en se posant sur Jean, le remerciait non seulement du cadeau, mais des quinze années de bonheur tranquille dont cette soirée était le symbole... D’autorité, Jean avait commandé du champagne. Il leva son verre, le cœur serré. Elle l’imita. Ils burent en se contemplant de près, avec une muette.

LAURENT

Jacques Laurent - 1919 - Prix Goncourt 1971 - Grand Prix de littérature de l’Académie française 1981.

La Bourgeoise

... La table d’anniversaire s’imposait non comme un souvenir mais comme un tableau d’une saveur hyperréaliste, où triomphaient le vieux rose d’un foie gras gaîné d’ambre, les transparences vertes parcourues de perles de la bouteille de champagne au flanc de laquelle l’étiquette en partie décollée par l’humidité du seau pendait comme une algue cramponnée à la surface d’un coquillage.

LA LITTÉRATURE POLICIÈRE

Depuis Maurice Leblanc et ses Arsène Lupin, le champagne est à l’honneur dans la littérature policière. Dans Le Bouchon de cristal, qui date de 1912, un chapitre est intitulé Extra-dry ? On y apprend que Daubrecq, pour inviter Clarisse qu’il désire et sur laquelle il exerce un chantage, a commandé du champagne... de l’extra-dry, après s’être demandé : « Voyons... qu’est-ce qu’elle préfère ? Le champagne doux ? Le champagne sec ? L’extra-dry ? » Arsène Lupin le démasque, le met hors d’état de nuire et propose ensuite à Grognard et à Le Ballu, ses assistants, de se restaurer : — C’est pas de refus, patron ! — Alors, faites vite, les enfants. Et, par là-dessus, un verre de champagne ; c’est le chloroformé qui régale. À la santé, Daubrecq. Champagne doux ? Champagne sec ? Extra-dry ?

On a, depuis, beaucoup bu de champagne dans les romans policiers. On l’a déjà noté pour James Bond, né en 1953 de l’imagination de Ian Fleming, grand amateur de champagne. On peut en dire autant pour les personnages de Gérard de Villiers. Comme dans les films, dont les romans policiers sont d’ailleurs fréquemment les scénarios, le champagne est souvent intégré à l’action. Dans Meurtre au champagne d’Agatha Christie, le Vve Clicquot 1928, fameux mais très cher, sert de véhicule au poison qui a été versé dans la coupe.

Bien d’autres romans policiers se réfèrent au champagne dans leur titre, en anglais comme Champagne Killer, de Philips, Champagne for one, de Rex Stout, en allemand comme Chincilla + champagne, de Rösener, Champagner baccanal, de G.W. Fink, Champagne mit den Chef, de Bela, en français avec notamment Champagne pour tout le monde ! de San-Antonio-Frédéric Dard, de 1981. À noter que pour plusieurs romans policiers étrangers le mot champagne ne figure pas dans le titre d’origine mais se trouve dans la traduction française. C’est le cas, par exemple, pour Snow on high ground de Raymond Sawkins, qui est devenu Champagne amer, et pour Meurtre au champagne que l’on vient de mentionner, dont le titre initial était Sparkling cyanide.

LES ÉCRIVAINS CHAMPENOIS

L’activité littéraire, avec des hauts et des bas, est constante en Champagne depuis les origines de la province. Au temps où les vins de Champagne ne moussaient pas encore, Racine et La Fontaine en ont été les plus belles illustrations. Aujourd’hui, elle est toujours fort active et elle assure la prospérité de plusieurs académies et sociétés artistiques et intellectuelles, notamment de l’Association des Ecrivains de Champagne, successivement présidée par Marcel Arland, Charles Braibant, Yves Gandon, et Armand Lanoux. Ce dernier, disparu en 1983, a été président du Conseil permanent des écrivains et secrétaire général de l’Académie Goncourt. Yves Gandon et Armand Lanoux ont participé avec André Raillet et Roger Didier à la rédaction du livre d’art La Route des vins de Champagne, illustré de 20 lithographies en couleurs de Touchagues, édité en 1966 par Les Heures Claires.

Parmi les autres auteurs champenois qui ont bien servi le vin de leur province et, de ce fait, ont été rencontrés au cours de cet ouvrage, plusieurs ont eu une audience nationale et même internationale. Et si Claudel s’est trouvé enclin à situer ses personnages dans son Tardenois natal plutôt que dans le vignoble, Maucroix et Diderot, on l’a vu, ont pris une large place dans le florilège du champagne, ainsi que, plus tard, Paul Fort, le prince des poètes, et même Maurice Constantin-Weyer, Prix Goncourt en 1928, attiré par le Grand Nord mais aussi par les belles et bonnes choses de France et auteur de L’Ame du vin.

II faut mentionner aussi ici Philippe-Valentin Bertin du Rocheret, dont il a été souvent parlé comme négociant en vins de Champagne. C’était un lettré véritable, qui correspondait avec le bibliothécaire du roi et avec Voltaire. Il était poète, ainsi qu’en témoignent ses agréables Triolets du maire d’Ay15, parus dans le Mercure de France de janvier 1728, dont voici le début :

Lettre écrite d’Ay le 10 janvier,
et Triolets
A. M. de Senecé
Ay produit les meilleurs crus,
J’en prends à témoin tout le monde ;
Mais vous préférez ceux de Reims.

LES CONCOURS POETIQUES CHAMPENOIS

En novembre 1865, Alfred Roger, propriétaire d’une Maison de Champagne à Épernay, lance un Concours poétique sur le Vin de Champagne, proposant par voie de presse aux poètes inspirés, de faire l’éloge du Vin de Champagne, sans distinction de marque. Deux prix étaient offerts, 25 bouteilles de champagne au premier et 12 au second. Les concurrents ont reçu l’assurance qu’ils seraient publiés, pour bon nombre d’entre eux, tout au moins, M. Roger reçut 233 poésies !

Trois lauréats furent désignés, P. Lorié, E. Vicq et J. Lesguillon. Le second nommé avait adressé une chanson, Le Docteur Champagne, dont il avait écrit les paroles et composé la musique. Quant à J. Lesguillon, il avait envoyé une ode de... 439 vers ! se terminant fort opportunément par L’esprit français, c’est le Champagne !

Il ne peut malheureusement être question de donner ici les poèmes retenus, et c’est dommage, car certains sont pleins d’esprit ou de charme, en particulier parmi les... non primés. Voici seulement les derniers vers du premier classé, P. Lorié, dont le poème était intitulé L’Hypocondriaque :

Surtout qu’un vieux Champagne, échauffant le cerveau, Au bruit des gais refrains d’une aimable folie, Chasse au loin la tristesse et la mélancolie. Ainsi donc du Champagne, et du Champagne encor ! Et vous verrez bientôt refleurir l’âge d’or.

A l’occasion du Concours viticole d’Épernay de 1884, tenu dans le cadre du Concours régional agricole, Armand Bourgeois, percepteur de Pierry et littérateur à ses heures, organisait à son tour un Concours poétique du Vin de Champagne, avec des récompenses offertes par les Maisons de champagne, dont un premier prix de
1 000 francs. Il reçut 1 103 manuscrits totalisant 66 403 vers !

Certains lauréats étaient des poètes de renom. Clovis Hugues, député de Marseille, premier prix, terminait agréablement son poème par :

Chante, bon vieux ! ris, jeune fille !
Viens boire un petit coup, voisin !
Vers le champagne qui pétille
La coupe s’allonge à dessein.

Quant au titulaire du second prix, Gaston Jollivet, chroniqueur du Figaro, on lui doit ces jolis vers qui, d’après Pierre Andrieu, seraient inspirés d’une poésie attribuée à un marquis de Sillery :

La mousse se posant aux lèvres des marquises
À leur poudre argentée a mêlé son argent,
Tu fus le conseiller d’aventures exquises,
Dont grand’mère palpite encore en y songeant.

Un troisième et dernier concours poétique, "La chanson sur le Vin de Champagne", était ouvert en 1890 par l’Académie Champenoise, à nouveau sous l’impulsion d’Armand Bourgeois. Les envois furent encore nombreux et 27 d’entre eux furent primés.

Le vainqueur du tournoi fut le docteur Amable Dubrac avec une Chanson sur le Vin de Champagne dont voici le refrain et le dernier couplet :

Refrain
Français, nous en aurons toujours
De ce vin d’or qui divinise.
Buvons à la France, aux amours :
À toi, Lisette, à vous, Marquise !

VIII
Mes chers amis, bardes aimés,
Quand sonnera mon agonie ;
Lorsque mes yeux demi fermés
Se voileront d’ombre infinie :
Du vin d’Aÿ, du vin de feu,
Humectez ma lèvre mourante,
Si vous voulez qu’au sein de Dieu
Mon âme rentre triomphante.

Armand Bourgeois a publié en 1890, une élégante plaquette ornée de vignettes, intitulée :
Le Chansonnier du vin de Champagne, comportant les 27 poèmes primés, des Opinions de contemporains remarquables dans les lettres et dans les arts sur le vin de Champagne et deux études personnelles, Opinions rétrospectives sur le vin de Champagne, tirées du XVIIIe siècle et Le Champagne chez le Régent. Les Opinions de contemporains, séparées du reste du texte, ont été rééditées en 1894. Des extraits en ont été cités précédemment. On y trouve aussi les vers suivants écrits par Gyp (Sybille de Riqueti de Mirabeau, comtesse de Martel de Janville, femme de lettres, 1849-1932) :

Il fait glou, glou, sortant de la bouteille,
Il fait pan, pan, à la porte du cœur,
Et la beauté, qu’elle soit jeune ou vieille,
Reçoit l’amant, pardonne son ardeur.

Un des principaux mérites du livre d’Armand Bourgeois réside dans l’excellente préface que lui a donnée Adolphe Brisson, critique dramatique du journal Le Temps, et dont voici un extrait qui servira d’aimable conclusion à cet ouvrage :

Oui, le champagne est le vin français par excellence.
Ce vin nous ressemble, il est fait à notre image ;
il mousse comme notre esprit ;
il est piquant comme notre langue,
il bavarde, il babille, il pétille, il est dévoré d’un éternel besoin d’activité et de mouvement ;
il se répand, il s’échappe, il jette son bouchon par-dessus les moulins, comme nos grisettes y lancent leur bonnet, sans penser à mal, et pour s’amuser.