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Maurice Constantin-Weyer

Littérature du vin et de la table (1931)

L’ÂME DU VIN

L’HYMNE AU CHAMPAGNE

Souvenirs de la Première Guerre mondiale.

Comme il est arrivé à beaucoup de ma génération, je dois à Reims et à sa montagne dorée d’impérissables souvenirs. Ay, planté de raisins rouges, où les femmes escortaient notre régiment, tout poudreux encore du champ de bataille, et cherchaient sur nos lèvres le parfum amer de la gloire. Mailly, Chigny-les-Roses et VillersAllerand où, tandis qu’on nous tenait en réserve, nous prêtions plus d’attention à la bouteille débouchée en notre honneur, qu’au danger prochain. [...]
Durant l’hiver 1915-1916, combien de fois, dans les caves de Goulet, de Verlet ou de Pommery, n’avons-nous pas entendu le son des explosions de deux-cent-dix, tandis qu’un chef de cave nous expliquait en souriant les délicates opérations qui amènent le vin à sa perfection.
Oublierions-nous aussi, contre Épernay, la fameuse côte plantée de Chardonnay, qui donne la perfection du champagne brut, le fameux "blanc-de-blancs", cher aux vieux maîtres de l’Académie Goncourt1.

Le champagne brut.

C’est le seul qu’on puisse honorablement boire en mangeant. Les vins doux ou demi-secs sont des vins de dessert, qui m’intéressent davantage par le sourire qu’ils amènent sur de jolies lèvres2, que par leurs vertus propres. Quant au vin extra-sec, - goût américain - c’est le vin des orgies nocturnes. Ces derniers ont d’ailleurs une grande qualité : ils ne laissent pas le lendemain de souvenirs désagréables, si l’on s’est laissé entraîner à en boire une coupe de plus qu’il n’était raisonnable de faire3. Au casino de Pougues-les-Eaux, voici quelques années, nous passions gaiement la soirée autour de quelques bouteilles d’Ayala extra-sec, quand, séduit par l’euphonie, qui me rappelait les cris poussés par mes vieux compagnons de chasse, les derniers Indiens Sioux du Canada, j’imaginais de crier : « Aya... Aya... Aya... la... » Ce refrain fut repris par toute la bande joyeuse. [...] J’ai, cette fois-là, fait à la maison Ayala une vingtaine de clients fidèles. Malheureusement, elle n’en a rien su.
Si je rapporte cette anecdote, c’est que j’ai fait, à cette occasion, deux constatations. La première, c’est que personne de nous ne fut incommodé par ce petit extra, ce qui fait le meilleur éloge du vin que nous buvions. La seconde, c’est que Brillat-Savarin se trouve en défaut. Suit le texte de Brillat Savarin.

1. Les déjeuners de l’Académie Goncourt, chez Drouant, se font au champagne blanc de blancs.
2. La femme a longtemps préféré les champagnes largement dosés (cf Mme de Marelle de "Bel-Ami" ) Cette prédilection est loin d’avoir disparu.
3. Ce qui est vrai a fortiori pour le brut.


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Vin de femme ? le champagne ? Quelle erreur. Savez-vous qu’en 1918, lors de la ruée allemande, on jeta dans Reims une division coloniale, à qui l’on promit deux bouteilles par homme et par jour, tant qu’elle protégerait la ville contre la souillure étrangère. [...] Une coupe de Pommery doux ou brut, ou de Clicquot ou de Goulet, chasse instantanément la fatigue. Si vous êtes épuisé, il vous rendra le ton, si vous êtes mélancolique, il ramènera le sourire sur vos lèvres.


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On peut discuter à l’infini de l’"oeil" du vin de Champagne. Entendez par là, de sa couleur. [...] De l’ambre à l’or pâle, les robes de champagne sont imposées par la mode. [...]
J’ai bu de ce Venoge rose1 [...]. Je ne sais rien de plus élégant. Vous levez votre verre, et c’est un nuage du soir qui passe devant vos yeux. Divin coucher de soleil, qui fait de vous un poète inconscient.


1931
1. De Venoge rosé .