CHAMPAGNE 1914-1915
Vous qui rirez demain, dans les fêtes heureuses,
A ce vin pétillant qui fait le temps vermeil,
Et d’un flot si doré remplit les coupes creuses,
Qu’on a l’illusion de boire du soleil.
Buvez quelquefois, vous, les promeneurs paisibles,
Dont le pas lent s’attarde aux chemins sans danger,
A ceux qui, tombés là sous des coups invisibles,
Vous ont gardé la terre où l’on peut vendanger.
Si je pouvais penser, ah ! si je pouvais croire
Qu’un jour j’aurai ma part de leur noble destin,
Que mon sang près du leur coulera... Quelle gloire !
Comme eux, après ma mort, j’aurai place au festin.
Plutôt que les honneurs de la foule empressée,
Ce qu’ils réclament, c’est, aux soirs insoucieux
Dans le bruit des repas de fête, une pensée,
Et l’hommage attendri d’un toast silencieux. Buvez !
Dans le vin d’or où passe un reflet rose,
Laissez plus longuement vos lèvres se poser,
Et pensant qu’ils sont morts où la grappe est éclose,
Et ce sera pour eux comme un pieux baiser.
1917 Œuvre posthume
Traduit de l’américain.